Découvrez notre sélection d’oeuvres, singulière et hétéroclite à l’image de notre équipe. Une d’avant-hier, une d’hier, une d’aujourd’hui. Un fil conducteur entre les trois ? À vous de trouver…
♦ Degas, de l’autre côté du miroir
par Michèle Robach
Exposée au Musée d’Orsay, La petite danseuse de quatorze ans, réalisée par Degas (1834-1917) est troublante à bien des égards. Réplique en bronze d’un modèle moulé à la cire, elle interpelle tant sa présence est physique, avec ses muscles tendus, son visage effronté, son regard qui semble dire « même pas mal ». À l’âge où les petites filles vont à l’école, Marie Van Goethem, puisque l’on connaît son nom, est un petit rat à l’Opéra vendue par sa famille si pauvre, que le corps de leur enfant est leur seule valeur. Mais l’argent ne suffit pas et comme les autres danseuses, elle se retrouve dans l’engrenage de la prostitution. Professeurs de ballet, librettistes, musiciens, riches protecteurs, ces présences masculines sont permanentes et asservissantes. De nombreux tableaux de Degas dévoilent la présence angoissante de ces gardiens, bourreaux en habits noirs et haut-de-forme. Si certaines ballerines dénichent un bon parti, le destin de la petite danseuse de quatorze ans, renvoyée de l’opéra pour absentéisme, se terminera dans la souffrance, la misère et la prostitution. Derrière ces ravissants tutus et ces corps graciles qui font rêver, c’est bien l’horreur qui nous est suggérée, par ce grand maitre que fut Degas.
LIRE : « La petite danseuse de quatorze ans » de Camille Laurens (Babelio, 2017).
♦ Joan Mitchell, nature, poésie et sentiments
par Marie-Hélène Cossé
Fille de poète, la poésie accompagne Joan Mitchell (1925-1992) tout au long de sa vie et de son œuvre. Conjuguée à la peinture, elle lui permet de retranscrire la vérité de ses sentiments (« feelings ») et de ses souvenirs, les paysages qu’elle porte de son enfance aux États-Unis jusqu’à la terrasse de bord de Seine de sa maison de Vétheuil. « Je peins à partir de paysages mémorisés que j’emporte avec moi et de sensations mémorisées… » Les halos de bleu, les jaunes contrastés, la translucidité font vibrer « La ligne de rupture », magnifique huile sur toile réalisée par l’artiste en 1970-1971, inspirée d’un poème de Jacques Dupin. Le tableau me saute aux yeux au milieu de la rétrospective consacrée à l’artiste jusqu’au 27 février 2023 à la Fondation Vuitton, exemple même de sa sensibilité aiguë à la lumière et aux couleurs.
« Voir, pour beaucoup de gens, n’est pas une chose naturelle. […] Ils ne voient que des clichés appris. Ils restent pris dans le langage. » disait Joan Mitchell.
♦ Adel Abdessemed, un artiste qui s’enflamme
par Christine Fleurot
Si vos pas vous guident vers le Marais, n’hésitez pas à pousser les portes de l’atypique Galleria Continua, lieu artistique hybride entre galerie, café et épicerie fine. En ce moment, elle consacre l’intégralité de son espace à l’artiste français d’origine berbère Adel Abdessemed. À travers une multiplicité de médiums (vidéos, sculptures, installations, peintures) l’artiste, témoin engagé, persévère dans sa dénonciation des violences d’une actualité brûlante : les conflits armés, la surconsommation ou l’émigration en Méditerranée. On sait qu’il aime jouer avec le feu, élément récurrent dans son travail. Prenez le temps de regarder le long plan hypnotique et métaphorique de Jam proximus ardet la dernière vidéo 2021. Rares sont les œuvres artistiques qui traitent d’évènements en cours ! Aussi, on ne peut être que bouleversé face à celles évoquant l’Ukraine, tel Entièrement brûlé, Nika et Miya 2022, bas-relief en bois brûlé, représentant un magma de voitures pilonnées par des bombes regardé à hauteur d’enfants par deux fillettes de plâtre blanc. La noirceur de la guerre face à l’innocence…
« Out, Out, Brief Candle » d’Adel Abdessemed. Galleria Continua, 87, rue du Temple, 75003 Paris. Jusqu’au 21 janvier 2023.