Drôles de zanimaux

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Entre trouble et merveilleux, deux expositions par leur singularité et étrangeté nous invitent à une plongée dans un imaginaire mystérieux et convoquent à travers contes et légendes, fantômes et créatures hybrides nos craintes d’enfance et interrogations d’adulte.

Carolein Smit, maîtresse du détail

Peu après Éva Jospin ou plus avant Sophie Calle, le Musée de la Chasse et de la Nature poursuit avec audace et pertinence son dialogue régulier avec des artistes de notre temps. Aujourd’hui c’est le bestiaire onirique de Carolein Smit qui s’y invite : ses créatures imaginaires ou inspirées de contes et légendes se glissent étrangement dans la muséographie du lieu. Il parait que l’artiste plasticienne hollandaise connue à l’international pour son travail de gravure et de lithogravure a appris seulement en 3 mois l’art de la céramique émaillée… pratique risquée. Sa maîtrise des volumes, des détails et de la couleur est bluffante. Le traitement hyperréaliste des surfaces (poils, plumes, épidermes) de ses chouettes, rapaces, chauve-souris, souris, singes, chats et chiens est troublante. Si on pense parfois par la préciosité du traité, par la mise en valeur du sujet sur « terrasse » au travail de Bernard Palissy, aux vanités, l’artiste nous renvoie aussi à des problématiques plus contemporaines : un ours au-dessus d’une carte d’Ukraine (élément d’une fresque à la manière Wedgwood Blue), des carlins disproportionnés parés de bijoux, victimes de la mode et ersatz affectifs éphémères. Au petit jeu attirance-répulsion, l’artiste séduit son public.

Dents ! Crocs ! Griffes ! Carolein Smit, Musée de la Chasse et de la Nature. Jusqu’au 5 mars 2023.

Françoise Pétrovitch, exploratrice de l’entre-deux

Autre variation artistique entre rêve et réalité, avec la rétrospective à la BnF François Mitterrand du travail polymorphe de Françoise Pétrovitch. Dualité, ambiguïté, là aussi de nombreuses œuvres renvoient à l’univers du conte et de la fable. Le motif récurrent de l’oiseau sans vie décliné sur différents médiums (eau forte, lavis ou sculpture en grès), ainsi que celui du lapin font ici partie de son bestiaire singulier. À travers plusieurs médiums (estampes, livres d’artiste, dessins, croquis et céramiques) la plasticienne s’interroge sur les frontières fragiles, celles troublantes entre l’humain et le monde animal, celles violentes entre enfance et âge adulte, celles tenues entre le masculin-féminin. Avec force picturale et économie de trait, la série Tout s’y passe à l’envers et celle saisissante de Rougir sont une démonstration magistrale de cette complexité. Il faut prendre le temps de regarder le documentaire éclairant sur le travail et la connaissance parfaite des techniques d’impression de cette figure majeure de l’art français. Entre travail d’équipe en atelier dans l’échange et inspiration solitaire dans le silence, entre décor de théâtre XXL pour l’Opéra de Rouen et immédiateté du dessin intime, Françoise Pétrovitch, sans jamais donner de clés de lecture, fait vaciller le regard entre inquiétude et beauté.

Françoise Pétrovitch. Derrière les paupières, BnF François Mitterrand. Jusqu’au 29 janvier 2023.

Christine Fleurot

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