Les yeux levés vers la coupole revisitée par Tadao Andō ou le regard rivé sur les cimaises de La Bourse du Commerce, visitant l’exposition de la Collection Pinault, la rédaction a joué les Arsène Lupin : « S’il y avait une œuvre à voler, je prendrais… »
Une architecture nouvelle dans un bâtiment historique
par Vicky Sommet
C’est ce qui frappe en entrant dans ce musée d’art contemporain : la force du béton et la fragilité de la verrière qui inonde de lumière tout l’espace muséal. À son architecte Tadao Andō qui a dit « je voudrais créer une architecture qui touche les gens par sa beauté », j’ai envie de répondre que son pari est réussi ! Les éléments du 19ème siècle sont restaurés et les ajouts modernes sont venus s’insérer harmonieusement pour former un tout, avec, dans le centre, des peintures murales qui mêlent couleurs, majesté et histoire pour cet ensemble dédié à l’art des années 60 à nos jours.
Fonte et robe de mariée vintage (2020) de David Hammons*
par Michèle Robach
Issu d’une famille pauvre, l’artiste David Hammons a été confronté aux injustices, au racisme, aux difficultés des Afro-Américains, ce qui le mène naturellement à se joindre au Black Art Movement dont il sera une figure marquante. Ses œuvres suintent cette conscience aigüe des disparités sociales et raciales. L’une de ses œuvres exposée à la Fondation Pinault, « Fonte et robe de mariée vintage », ressemble à un fantôme blanc sorti d’une bouche d’égout. Paradoxalement, l’ensemble est gracieux, aérien dans un équilibre improbable. Deux interprétations me viennent à l’esprit : un mariage heureux, prospère, vécu comme une ascension sociale ou une promesse non tenue, une déception, un acte de désespoir ou de rage qui a pu amener une jeune fille à jeter sa robe de noce dans les égouts.
*Une des « vedettes » de la collection avec plus de trente œuvres réunies.
Girlfriends (2019) de Claire Tabouret
par Christine Fleurot
Le regard de ce groupe de filles happe immanquablement celui du visiteur et l’interroge. Qui sont-elles ? Menaçantes ou bienveillantes ? Me rappellent-elles un souvenir personnel ? Entre innocence et trouble le cœur balance. La lumière estivale et les couleurs acidulées de la toile n’effacent aucunement l’ambigüité. Claire Tabouret (40 ans), artiste française vivant désormais à Los Angeles, à travers ses œuvres figuratives, narratives et mystérieuses, a le don d’interpeller le spectateur. François Pinault l’a été dès 2013. L’intérêt du collectionneur ouvrira à l’artiste les portes des plus grandes galeries et aujourd’hui l’accès au top ten des cotes des artistes peintres français.
Untitled de David Hammons*
par Anne-Marie Chust
Ce « bad guy » revendiqué de l’art américain s’empare avec férocité des questions politiques et sociales, s’intéressant particulièrement à la place de la communauté afro-américaine aux États-Unis. Cette œuvre laisse la liberté de l’interprétation et donne à voir un panier de basket scintillant et illuminé en mode de décor XVIIIe siècle. Le basket, sport « noir » (les joueurs afro-américains en représentent la majorité des effectifs) et voie obligatoire de leur émancipation sociale ? Mais sur-représentation n’est pas nécessairement synonyme d’intégration. L’artiste dénonce dans cette œuvre narquoise et décalée le déterminisme social où le sport est la seule possibilité de s’en sortir et d’avoir accès, pour quelques-uns, à l’« American dream » fait de paillettes, de « blingbling » et d’éphémère. Vanité aussi ? Au sens allégorique de la mort, du passage du temps, de la vacuité des passions et des activités humaines, dont toute la collection Pinault est empreinte.
*Une des « vedettes » de la collection avec plus de trente œuvres réunies.
Untitled, 2011 d’Urs Fischer
par Brigitte Leca
Outre le lieu exceptionnel où tout a été parfaitement pensé dans ce nouveau temple de l’art contemporain, j’ai été fascinée par la sculpture monumentale d’Urs Fischer présentée dans la Rotonde que je suis revenue détailler à plusieurs reprises. Inspirée par un sujet classique¹, il s’agit d’une stupéfiante création éphémère réalisée en cire et couverte un peu partout de mèches allumées : un travail époustouflant ! L’oeuvre se consumera jusqu’à la fin de l’exposition. J’aimerais pouvoir revenir faire des photos à chacune des étapes de sa liquéfaction. Sinon, j’aurais bien volé le tapis des frères Bouroullec que l’on peut voir dans la salle d’accueil de l’exposition…
¹La réplique grandeur nature d’un célèbre groupe sculpté de la période maniériste, L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Giambologna.
À noter l’application en ligne parfaitement bien réalisée qui sert de guide et les mėdiateurs-trices* présents à l’envi pour répondre aux questions et donner des explications (sur une oeuvre inexplicable ?). Une bonne façon d’éviter les visites groupées…
*Sont ainsi nommés les guides du musée, encore une innovation de ce nouveau lieu.