Immersion en forêt amazonienne à travers l’œuvre audiovisuelle de Claudia Andujar. Photographe militante, à 88 ans son cœur bat toujours et encore en territoire Yanomami dont la sauvegarde est le but de sa vie.
De Transylvanie en Amazonie
Quel parcours de vie que celui de Claudine Haas née en 1931 à Neuchâtel, élevée en Transylvanie entre une mère suisse protestante et un père hongrois de confession juive. Ce dernier, déporté et tué dans le camp de concentration d’Auschwitz, elle fuit en Suisse avec sa mère puis rejoint New York. Alors artiste-peintre, elle y épouse un émigré espagnol dont elle se sépare rapidement mais gardera le nom : Andujar. C’est lors d’un voyage au Brésil (1957) que la jeune femme découvre et la photo et l’Amérique latine. Collaborant avec des magazines américains et brésiliens, son travail rapidement s’oriente vers la photographie sociale et documentaire, angle qu’elle partage avec son nouveau mari, George Leary Love (1968). Prostituées, homosexuels, migrants font l’objet de ses travaux photographiques avant que son regard respectueux se porte sur les Yanomami (1971).
Le combat d’une vie
Situées à la frontière entre Brésil et Venezuela, les terres Yanomami (96 650 km2) forment un des plus vastes territoires autochtones forestiers du monde. Chasseur-collecteur et agriculteur, le peuple Yanomami (25 000 personnes) voit sa survie menacée depuis les années 70. Les causes ? Déforestation, exploitation minière, déculturation, spoliation, violence, transmission de maladies provenant d’intrusions extérieures, en particulier celles d’ouvriers œuvrant pour la construction de la Route Perimetral Norte (1970) ou aujourd’hui celles d’orpailleurs clandestins et trafiquants en tout genre. Claudia Andujar, photographe militante, avec l’aide de certaines ONG, ne cesse de se battre pour obtenir une reconnaissance d’une délimitation territoriale et la sauvegarde de leur patrimoine culturel.
Entrer dans la transe
Au rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, les tirages de Claudia Andujar, en suspension dans l’espace, nous emmènent au contact de ce peuple indigène. À travers sa culture, son mode de vie et ses rites cérémoniels, en particulier ceux liés au chamanisme. Floutées par le dépôt de vaseline sur ses objectifs, dédoublées par la multiplication des temps de pose, saturées par une pellicule infrarouge ou par des filtres spéciaux, illuminées par des effets de flashs, ses photographies brouillent les sens. Comme sous influence de la yakoana, poudre hallucinogène locale. À l’étage inférieur, une galerie de portraits reflète la confiance entre ses modèles et « leur amie ». Des séries plus militantes dénoncent les impacts dévastateurs de la colonisation agricole et économique et figent les campagnes de santé exigeant l’identification par numéro de chaque indien, démarche évocatrice d’autres sinistres périodes, mais cette fois-ci « marque » de vie.
Enfin, martelant son message au moyen d’une installation hypnotique, à 88 ans, Claudia Andujar poursuit sa lutte auprès de « sa famille » de nouveau menacée par le gouvernement de Bolsonaro. Activiste hier, activiste toujours.
Christine Fleurot
Fondation Cartier jusqu’au 10 mai 2020