Qui ne connait pas Edward Hopper ? Mais qui connaît sa femme, Jo ? Et pourtant, la dame sur les tableaux, c’est toujours elle ! Récit de la vie d’un couple¹ en peinture explosif.
La rencontre
En 1924, Jo, peintre à la carrière ascendante, participe à une résidence d’artistes dans le Maine et y fait la rencontre d’un grand échalas aux yeux clairs, un brin introverti : Edward Hopper ! Ils ont en commun la peinture, la littérature et l’amour de la France (saviez-vous qu’Hopper avait passé du temps à Paris, que ses premiers tableaux représentaient des scènes parisiennes et qu’il pouvait réciter du Verlaine dans le texte ?). Ils ne se quittent plus et se marient très vite (ce ne sont plus des perdreaux de l’année) ! Jo doit participer à une exposition à Brooklyn et insiste pour y présenter les aquarelles d’Edward. Hopper remporte le prix et, poussé par Jo, expose ses œuvres dans une galerie où elles s’arrachent en une semaine.
Un huit-clos explosif
Jo qui avait emménagé dans l’appartement d’Edward à New York, un logement exigu qui lui sert d’atelier, perd vite ses illusions : ce n’est pas vraiment le nid d’amour auquel elle s’attendait et elle n’y a pas sa place en tant qu’artiste. Hopper attend de sa femme qu’elle joue la parfaite épouse et ne s’occupe que de lui et de son art et bientôt le couple s’enferme dans un huis-clos explosif. Au fil des années, Jo comprend que pour survivre en tant que femme et artiste, elle doit faire partie intégrante du processus de création de son génie de mari. Elle sera son agent, sa muse et son unique modèle féminin (on ne sait pas très bien si c’est parce qu’elle était jalouse ou parce qu’il était trop pingre).
Dans les biographies du grand homme on dit qu’Hopper fut malheureux avec elle. « Épouse nerveuse, tempétueuse, terre à terre, jalouse, elle fut son unique modèle au corps toujours froid » (Morning Sun, 1952)
Des carnets secrets cachés
La découverte, en 2016, des vingt-quatre carnets de Jo allant de 1933 à 1956 restés dans le grenier de leur austère maison d’été de Cape Cod, nous donnerons sa version à elle et révèleront une face sombre, que l’on devinait déjà, de la vie du couple. C’est d’abord la chronique minutieuse, et même comptable, de la carrière d’Hopper qu’elle a galvanisée, mais aussi de sa frustration et de sa solitude, car son mari n’a rien d’un comique. Ces carnets font également la description d’une relation maritale paradoxale, on pourrait dire « amour vache », faite souvent de sadisme ordinaire, voire de violence physique mutuelle, une relation que certains qualifieront de digne d’un « soap opera » : « On se demande comment ils ont bien pu rester ensemble ! ». Jo pourtant continue à peindre, inspirée par sa maison de Cape Cod et ses lumineux paysages alentours. Elle plante même son chevalet non loin d’Edward, en prenant les mêmes sujets et, il faut bien le dire, en imitant son style…
Que sont devenues les œuvres de Jo ?
Parmi l’ensemble considérable d’œuvres que Jo légua au Whitney Museum de New York figurent celles d’Edward, mais aussi les siennes qui ont aujourd’hui pour la plupart disparu… Pendant près de trois ans, l’ensemble est stocké dans une réserve à l’abri des regards. Le musée poussera l’outrage jusqu’à faire don d’une partie de celles-ci à des hôpitaux de charité de l’État de New York et à jeter une bonne partie du reste à la poubelle. De sorte qu’il ne reste presque plus de traces de l’œuvre de Jo Hopper même si les quelques-unes conservées recommencent à intéresser les musées.
Une grande partie de l’œuvre de Hopper exprime la nostalgie d’une Amérique passée, du conflit entre nature et modernité et est devenue iconique de l’art moderne et du mouvement réaliste américain. Dans sa construction mentale d’un monde devenu autre où la relation humaine semble comme effacée, les personnages de Hopper sont le plus souvent esseulés et mélancoliques. Comme Jo l’a été ? Enfermée dans son si « violent silence »² ?
Anne-Marie Chust
Photo de Une ©“Morning in a city “ – 1944 – d’Edward Hopper (Williams College Museum of Art – Williamstown (MA) – Extraite du catalogue de l’exposition Paris Grand Palais du 10/10/2012 au 28/01/2013
¹Edward Hopper (1882-1967) et Josephine Verstille Nivison, épouse Hopper, (1883-1968).
²« Edward et Jo Hopper, un si violent silence » de Catherine Aventurier 2020.