Les femmes solitaires d’Edward Hopper

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À partir de 1933, date de la première rétrospective au MOMA de New York, le succès planétaire d’Edward Hopper (1882-1867) ne se démentira plus. Peintre de la solitude, la nostalgie ou la mélancolie, il est connu comme un témoin attentif des mutations de la classe moyenne américaine. La figure féminine est un thème omniprésent dans son œuvre.

Photographie, cinéma, théâtre, lecture

Ses tableaux surprennent par leur aspect atemporel et cinématographique. Il saisit  la solitude méditative ou songeuse des personnages dans leur décor quotidien souvent nocturne et urbain mais aussi diurne et intérieur comme des pièces baignées de lumière provenant du soleil ou d’éclairage artificiel.  C’est le cas de deux belles représentations féminines : Automat (1927)¹ ou New York Movie (1939)². Dans le tableau A Woman in the Sun (1961) une femme nue, cigarette à la main se tient, contemplative, baignée du soleil du matin, tel un arrêt sur image. Il s’agit de son épouse, sa muse, sa secrétaire et son unique modèle : Josephine Nivison, qui va renoncer à sa propre carrière de peintre et se consacrer entièrement  à celle de Hopper. Dans Girlie Show (1941), elle s’expose nue, provocante dansant sur scène, sans pour autant provoquer le moindre désir dans sa blancheur cadavérique.

Chez Hopper, la chair est triste. Beaucoup de ses toiles représentant des femmes absorbées par la lecture solitaire comme dans Hotel room (1931)³ ou Compartment C car 2934 (1938).

Arrêt sur image : avant ou après une histoire

Ses peintures résonnent comme des histoires interrompues et cette incomplétude qui laisse libre cours à l’imagination et au rêve est un élément essentiel du mystère et de la beauté de ses personnages féminins.  Dans Western Motel (1957), une femme solitaire attend pensivement, comme déracinée assise sur un grand lit vide dans un espace dépouillé devant une fenêtre ouverte sur le paysage américain. On se demande ce qui va suivre… Dans Summertime (1943), une jeune fille attend seule devant un bâtiment massif et austère. Que fait-elle ou qui attend-elle sur le perron ? Toutes ces femmes semblent guetter quelque chose ou quelqu’un. Une âme sœur ? Le rêve américain ? Rien ne semble pouvoir les tirer de leur abattement. Figures fragiles, désillusionnées, elles semblent perdues.4

Edward Hopper à la Fondation Beyeler, Bâle, prolongée jusqu’au 26 juillet 2020. L’exposition réunit des aquarelles et des huiles des années 1910 aux années 1960 en coopération avec le Whitney Museum of American Art, New York, dépositaire de la plus importante collection au monde d’œuvres d’Edward Hopper. Voir la vidéo.

Pour Didier Ottinger, spécialiste de la peinture contemporaine, ces femmes ont l’intuition du monde passé de l’âge d’or d’avant la Guerre de Sécession. Le rêve américain a mal tourné. Il a été perverti par l’industrialisation,  l’urbanisation ou le consumérisme5. Pourtant, Hopper reste persuadé qu’on peut encore les réveiller.

Michèle Robach

 ¹Une femme solitaire prend un café. Elle semble désœuvrée. Il se passe quelque chose, mais quoi ?
²Représentation d’une ouvreuse silencieuse immobile, alors qu’un film est projeté. Le drame se joue ailleurs.
³Une femme se trouve au bord du lit dans une chambre d’hôtel anonyme. C’est la nuit, elle semble trop épuisée pour déballer ses valises. Elle vérifie l’horaire de son train le lendemain. C’est une ambiance de polar noir américain.
4Une femme blonde, élégante vêtue d’une robe de couleur prune est assise dans le compartiment d’un train. Les murs et le mobilier sont verts. La femme lit. Mais qu’est-ce qui l’absorbe ainsi ?
5Drugstore, 1927 : vitrine d’un magasin où l’on ne vend que des laxatifs.

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