Dans le merveilleux cadre du Couvent des Jacobins, une nouvelle partie de la collection Pinault qui ne contient pas moins de 10 000 œuvres nous est dévoilée. Les Rennais ont pris l’habitude de ces rendez-vous. Après « Debout » en 2018 et « Le Noir et le Blanc » en 2021, « Forever Sixties » vient à leur rencontre cette année.
Emma Lavigne, directrice générale de la Collection Pinault et commissaire de l’exposition a souhaité offrir à Rennes, ville jeune, étudiante et privilégiant l’art contemporain, une rétrospective des années 60 qui ont encore une influence sur beaucoup d’artistes actuels. L’esprit Pop art, mouvement anticonsumériste toujours présent, est né en Angleterre dans les années 50 et popularisé aux États-Unis dans les années 60 par notamment Andy Warhol. Il consiste à détourner les images de la publicité et du cinéma pour critiquer la société de consommation. Il s’agit d’un mouvement militant qui aborde le féminisme, les luttes contre le racisme, les inégalités sociales…, des questions toujours présentes. Il insuffle un esprit critique et rebelle.
Plus de 80 œuvres, dont certaines sont exposées pour la première fois, offrent un éclairage sur la révolution visuelle des années 60 et l’influence du Pop art dans les décennies suivantes. Parmi les nombreux artistes majeurs présentés figurent Richard Hamilton, un des pionniers du courant Pop art, Martial Raysse, Niçois installé à New York qui a proclamé « Les Prisunic sont les nouveaux musées de l’art moderne ». On lui doit des œuvres aux couleurs vives et tranchées et c’est d’ailleurs sa « Belle des nuages », une peinture fluorescente, qui a été retenue pour porter la communication de l’exposition.
Le saviez-vous ? Etienne Daho a concocté pour cette exposition une playlist d’une centaine de titres emblématiques des années 60 qui agrémente une fresque chronologique. Revenu en France dans les années 1970, la carrière musicale du chanteur commence à Rennes qui devient sa rampe de lancement. À noter son prochain concert le 15 décembre dans la ville bretonne au Liberté.
Impossible de citer toutes les œuvres, mais s’il fallait en sélectionner quatre :
♦ « La nana noire », une des premières « nanas » réalisées par Niki de Saint-Phalle, vraisemblablement une référence à Rosa Parks, figure emblématique du combat contre le racisme aux États-Unis. Niki de Saint-Phalle revendique son combat contre le racisme et le sexisme en affirmant sa place dans l’espace par ses formes généreuses, voire monumentales, sa position acrobatique la tête en bas et la gaieté des couleurs de son vêtement.
♦ La Péruvienne Teresa Burga est une figure pionnière de l’art conceptuel en Amérique latine. Dans l’œuvre présentée, « Sin titulo », l’artiste recrée un espace domestique aux couleurs vives dans lequel une silhouette féminine se retrouve aplatie à la surface d’un lit. À première vue ludique et colorée, cette œuvre se révèle rapidement être une réflexion critique sur la situation de la femme. Le visage représenté est souriant mais le corps, sexualisé par une poitrine importante, est cloué sur un lit, rigide, frigide.
♦ Toujours hyperréaliste, l’œuvre en résine et fibre de verre moulée de Duane Hanson représente un peintre en bâtiment africain-américain. On y ressent toute la lassitude du personnage. Il s’agit de dénoncer le racisme, la pauvreté et la mise au ban de certaines catégories sociales.
♦ L’installation « Roxys » d’Edouard Kienholz reproduit une maison close de Las Vegas dans les années 40. Elle présente des techniques mixtes, du mobilier, un bric-à-brac d’objets, un poisson rouge, un juke-box et des figures féminines. Son décor est angoissant et sordide, fourmillant de détails jusqu’au papier peint noirci par la fumée de cigarettes. La pièce accueille des sculptures représentant des femmes victimes de violences.
À cette sélection s’ajoutent des œuvres de Richard Avedon, Gilbert & George, Michelangelo Pistoletto, Barbara Kruger…
Brigitte Leprince
« Forever Sixties » au Couvent des Jacobins à Rennes. Jusqu’au 10 septembre 2023.
À voir aussi
♦ Le billet donne accès à une autre exposition « Art is Magic », première rétrospective en France de Jeremy Deller, artiste britannique, lui aussi héritier du Pop art, qui s’intéresse aux cultures populaires. Musée des Beaux-arts, La Criée, Frac Bretagne.
♦ Enfin la collection Pinault s’expose cet été également à Paris et à Dinard. Le photographe américain Irving Penn à Dinard à la villa Roches Brunes. A Paris, à la Bourse du Commerce, se poursuit le cycle « Avant l’orage ».