Exemple parfait d’un esprit libre du XX siècle, Helena Rubinstein, incarne tout à la fois une femme moderne dans sa vie personnelle, pionnière dans l’industrie du cosmétique et avant-gardiste dans ses approches artistiques. Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme rend hommage à cette voyageuse infatigable.
Jeune femme houtzpeh¹
C’est dans le quartier juif de Cracovie que naquit en 1872, Chaja Rubinstein, aînée de huit sœurs.Très vite elle s’affranchit des conventions de sa famille et de sa religion. Échappant à un premier mariage arrangé, elle n’hésite pas à rejoindre à Vienne une tante et un oncle fourreurs, puis prendre encore de la distance après une deuxième tentative d’union forcée, en s’expatriant en Australie. Changement de nom : elle devient Helena. Changement de vie : elle travaille dur dans un magasin pour survivre. C’est à la vue des visages burinés des fermières locales qu’elle prend conscience de la beauté de la peau et des soins nécessaires à y apporter, elle qui avait gardé quelques pots de crème glissés par une main maternelle dans ses bagages. Conscience de la féminité et sens du commerce, les clés de sa future réussite sont dans sa main.
Pionnière du marketing
Celle qui avait quitté à regret les bancs de l’école à 15 ans crée son premier institut de beauté en 1907 à Londres. Helena Rubinstein est convaincue que l’avenir du cosmétique passe par la science et la recherche. Elle développe ainsi laboratoires, usines, puis instituts de beauté à travers le monde. Elle sera la première à commercialiser un mascara waterproof, à introduire le maquillage dans l’aristocratie -artifice réservé aux prostituées et aux artistes- à inventer et préconiser les produits solaires, à identifier les différents types de peau, à mettre au point des techniques de massages faciaux, à formaliser le métier d’esthéticienne et à ouvrir un salon pour homme ! Misant sur l’innovation et la publicité, elle maîtrise déjà tous les codes du marketing moderne !
Mécène avertie
De l’ouverture de son premier salon, façon boudoir, en 1907 jusqu’à ses luxueux appartements privés, Helena Rubinstein sera toujours attentive à l’architecture et à la décoration. Elle fait appel aux plus grands noms de l’époque pour leurs aménagements (Bruno Elkouken -Louis Süe- Paul Poiret -David Hicks) apportant sa patte personnelle avec un mélange très éclectique d’influences. Dès 1910, la femme d’affaires commence à constituer sa propre collection d’art. Elle soutiendra de nombreux artistes, en particulier ceux de sa diaspora tels Chagall et Kikoine ou bien ses amies proches comme Sarah Lipska et Marie Cuttoli. Au-delà de son attrait pour Vuillard, Utrillo, Léger ou plus contemporain Martin Barré, elle constitua une des plus importantes collections d’art premier africains et océaniens. Révolutionnant le mécénat, elle tresse les premiers liens entre Art, Luxe et Mode du XXe siècle.
Influenceuse avant l’heure
Helena Rubinstein passionnée par la mode comprend vite que Haute-couture et Beauté seront désormais indissociables. S’affichant en Chanel, Dior, Balenciaga, Rodriguez ou Saint Laurent, elle aime poser devant l’objectif des plus grands photographes (Dora Maar, Cecil Beaton…) exigeant des retouches si nécessaire pour optimiser son image et sa silhouette. Les selfies n’existant pas encore, elle commande des portraits d’elle-même à des peintres contemporains. Plus d’une trentaine se plieront à l’exercice sauf Picasso qui résistera et n’exécutera que quelques croquis mais ne lui donnera jamais… Anticipant Instagram, elle se met en scène au profit de sa marque et réinvente déjà sa propre image.
De Cracovie à Vienne en passant par Melbourne, Londres, Paris, New York jusqu’à Tel Aviv, Helena Rubinstein n’aura de cesse de s’engager en faveur de l’émancipation des femmes par la beauté : « La beauté c’est le pouvoir » prédisait-elle.
Christine Fleurot
¹houtzpeh : culottée en yiddish
Helena Rubinstein – L’aventure de la Beauté – Musée d’art et d’histoire du Judaïsme-Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, 75003 Paris, jusqu’au 25 août 2019.