Gucci, Ferragamo, Benetton… des noms qui font rêver ! En quelques années, ces créateurs ont construit de véritables dynasties, succédant ainsi aux flamboyantes familles italiennes d’aristocrates, de guerriers, de banquiers et sont devenus synonymes de luxe et de prestige mondialement connus. D’origines souvent romanesques et modestes, leurs combats, leur ascension, leur chute et même leur disparation, comme celle de Gucci, relèvent du parcours de l’histoire du XXe où régnèrent le paraître et les signes extérieurs de réussite.
Double G : logo de la marque
La famille Gucci occupe l’une des premières places dans mon top 50 de ces dynasties féroces et flamboyantes, comptant même une veuve noire parmi ses rangs. Tout commence avec le fondateur Guccio Gucci (Double G). En cette fin de XIXème siècle, Florence ne frappe autant par sa beauté que par sa pauvreté. D’une famille de chapeliers ne roulant vraiment pas sur l’or, Guccio décide d’élargir ses horizons, un peu plombés jusque lors, et voyage jusqu’à Londres, se fait même maître d’hôtel sur l’Orient Express, et finit par se faire un nom dans l’industrie du luxe grâce à son travail acharné, sa créativité et sa souplesse d’adaptation. Il ouvre sa première boutique d’articles de cuir de luxe à Florence en 1923. D’autres suivront et il fondera une marque reconnue et admirée dans le monde entier. Les chaussures à gland, le sac à anse en bambou, cela vous dit surement quelque chose.
Après la mort de Double G, le groupe est dirigé par deux de ses fils -Aldo, personnage rusé et haut en couleur, qui a développé ses affaires en Amérique- et son frère Rodolfo, beaucoup plus froid et traditionnel. Pugnace, Aldo n’a pas la moindre intention de céder le contrôle de l’empire à qui que ce soit -et certainement pas à son fils Paolo-, garçon fantaisiste qui aspire à devenir styliste. Quant à Maurizio, fils timide et surprotégé de Rodolfo, il a davantage envie d’étudier le droit que de diriger un groupe de luxe international.
Ils se marièrent….
Mais voilà que Maurizio tombe amoureux de la ravissante et manipulatrice Patrizia Reggiani et, contre l’avis de son père, décide de l’épouser. Lorsque l’oncle Aldo se découvre des affinités avec Patrizia, il réussit, avec l’aide de la jeune femme, à convaincre son neveu de renoncer à ses ambitions juridiques pour intégrer l’entreprise dont il devient, de facto, le probable héritier. Après leur mariage, elle intervient activement (le mot est faible) dans la direction de l’entreprise. C’est qu’il en faut des sous pour maintenir leur style de vie ultra-glamour : œuvres d’art, diamants, appartements à New York et à Milan, un chalet etc… Elle et son mari formaient une véritable équipe à un moment critique de son histoire, conseillés par l’avocat historique de la firme Domenico del Sole. Car même si l’entreprise rayonne à l’international, elle ramasse les contrefaçons à la pelle et les démêlés fiscaux vont bon train.
Mais Maurizio n’en peut plus de la flamboyante Patrizia devenue plus Gucci que Gucci. Prétextant un voyage d’affaires, il n’est jamais rentré chez lui et s’installe avec une femme plus jeune, sûrement plus aristocratique et moins fatigante, un grand classique, quoi… Le couple finit par divorcer en 1994.
Chic et choc
Même si Maurizio a une situation de rêve sur le papier, la plupart de ses biens sont hypothéqués, des rumeurs de malversations financières, plus tellement d’idées à la Guccio et surtout une dévalorisation de la marque. Les procès pleuvent entre lui et le fisc, entre lui et son cousin Paolo, avec l’oncle Aldo à qui il n’a pas fait de cadeaux. Et son avocat Domenico del Sole, devenu son créancier qui réclame sa dette et accule Maurizio à vendre, soutenu par une société du Golfe, Investcorp. Après la vente, il reste encore un petit pécule à Maurizio, aux environs de 100 millions de dollars. Domenico del Sole devient le patron et s’associe au « grand » Tom Ford, styliste et créateur. La maroquinerie Gucci se transforme en une entreprise spécialisée dans le luxe et la provocation. Tom Ford propose des créations voyantes, sexy, bling-bling et les met en avant en développant une approche porno chic.
Tous les grands classiques, tous les produits phares de la maison sont remis au goût du jour. Le succès est retentissant, mais ne durera pas longtemps, del Sole et Ford finissent aussi débarqués par Investcorp.
L’histoire ne s’arrête pas là
Mais l’histoire ne s’arrête pas là… Voilà qu’en 1995 Maurizio est abattu froidement à coups de révolver en gagnant son triplex de luxe milanais. Stupeur et tremblements ! Après une longue enquête riche en rebondissements, les enquêteurs ont découvert que la mort de l’entrepreneur n’était pas liée à des affaires internationales douteuses ou d’éventuelles dettes, mais relevait plutôt d’une sombre histoire familiale avec, au centre, l’ex-épouse, Patrizia, qui a commandité le crime, conseillée par sa voyante omniprésente. Après un procès retentissant, Patrizia est condamnée à plus de 20 ans de prison. En 2011, elle se voit offrir la possibilité d’une « prison ouverte », ce qu’elle refuse en déclarant : « Je n’ai jamais travaillé de ma vie, ce n’est pas maintenant que je vais commercer ! » Sacrée nana ! Elle est finalement libérée en 2016 et est maintenant en procès avec ses filles car elle a quand même perçu une partie de l’héritage…
Splendeur et misère des grandes familles… Double G doit se retourner dans sa tombe !
Anne-Marie Chust
Toujours en salle : House of Gucci, biopic de Ridley Scott avec Lady Gaga, Adam Driver, Al Pacino, Jeremy Irons.