100 ans de parfums

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À l’image des autres champs artistiques, le parfum s’imprègne de l’air du temps, reflétant de manière olfactive les métamorphoses de son époque. Quelques exemples célèbres en illustrent les temps forts depuis le début du 20è siècle, quand la parfumerie a vraiment pris son essor, passant de l’artisanat à une dimension industrielle.

La Belle Époque et les années 20

L’Heure Bleue illustre le mieux la période de la Belle Époque. En 1912, Jacques Guerlain avait imaginé un parfum qui émanerait de la nature à l’heure où la lumière se transforme en crépuscule et où le ciel se teinte d’un bleu intense. Nous vivons une période d’insouciance et L’Heure Bleue est une véritable caresse olfactive. Création mythique, ce parfum avec ses senteurs de bergamote, de jasmin, de vanille procure une sensation suave. Après un tel lancement, Guerlain deviendra la plus importante maison de parfums en Europe. Dans les années 20, on veut oublier la guerre et s’évader dans l’exotisme, la modernité. C’est l’émergence des couturiers parfumeurs comme Paul Poiray, Gabriel Chanel. Elle lance Cuir de Russie au moment où les Russes blancs se réfugient en France, parfum original et intemporel. Il plait aux « garçonnes » avec ses senteurs brutales de cuir qui lui confèrent une dimension androgyne. Mais surtout, en 1921, son cultissime N°5 va attirer les clientes du monde entier et reste à ce jour, l’un des parfums les plus vendus.

L’Occupation et les années 50

Durant l’Occupation, Rochas ose lancer un parfum hyper féminin qui deviendra un mythe : Femme. C’est une révolution car c’est le premier parfum qui apporte véritablement une note fruitée : agrumes, prune, cœur floral, relevée par une senteur épicée de cumin. Puis en 1956, Christian Dior décide de s’opposer à ces parfums trop complexes et lance une forme très épurée avec davantage de clarté et de légèreté, il veut redonner aux femmes le goût de plaire et de susciter le désir. Le luxe  revient sur le devant de la scène après une longue période d’insécurité et d’angoisse. Diorissimo est lancé, senteur d’une seule fleur, le muguet.

Les années 60

Les années 60 reflètent celles de la libération sexuelle, l’Eau sauvage s’adresse aux hommes, alors qu’ils ne se parfumaient que très peu. Mais les goûts commencent à évoluer, à se débrider. Dès son lancement, Eau sauvage est un succès. On le sentira même sur les barricades de Mai 68. Les publicités avec Alain Delon sur un slow de Michel Legrand contribuent à booster les ventes. Mais le secret  vient peut être de cette molécule de synthèse introduite à côté des notes classiques de citron, lavande et romarin: l’hédione. C’est une première en parfumerie qui fera école. On a prouvé scientifiquement que cette molécule de synthèse, brevetée en 1962, stimulait une région du cerveau impliquée dans la gestion des hormones, bref qu’elle stimulait la libido.

Les années 70 et 90

En 1977, Yves Saint Laurent veut se positionner face à la concurrence américaine qui remet en cause les acquis centenaires de la parfumerie française. Il provoque en lançant Opium, parfum sulfureux faisant référence à la drogue, à l’addiction, à l’interdit. En 1985, Dior lancera le très capiteux Poison. On tente de conjurer les catastrophes : le sida, Tchernobyl. Poison est également le fruit défendu, d’ailleurs son flacon est en forme de pomme, ce qui accentue le côté vénéneux de son nom. C’est un véritable marqueur de son époque. Les années 90 reflètent une envie de gourmandise avec Angel de Thierry Mugler. C’est le moment où les défilés de mode sont attendus comme des spectacles démesurés. « Ma mesure, c’est la démesure » dira son créateur. Kiwi, cassis donnent un côté pétillant et suave puis le patchouli domine en dose volontairement criarde. Puis avec L’Eau d’Issey Miyake, parfum puissant et original, on retourne aux senteurs plus introspectives de l’eau de mer à une époque où les enjeux de la biodiversité prennent de l’ampleur.

Le parfum enchante, charme, tente. Il est d’autant plus désirable qu’il s’évapore et vous échappe. Mais il est aussi un marqueur social. Conflits mondiaux, évolutions sociétales, maladies ou encore crises économiques modèlent sa création et font de cet art un miroir impalpable de notre société.

Michèle Robach

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