Que ce soit au cinéma ou en littérature, nous avons toutes été un jour bouleversées, voire marquées, par une scène d’amour qui nous est restée en tête. Les membres de l’équipe ont eu envie, chacune à leur tour, de vous dévoiler la leur. Et vous, quelle est la vôtre ?
♥ Sur la route de Madison de Clint Eastwood avec Meryl Streep et Clint Eastwood (1995)
par Vicky Sommet
Une scène d’amour s’illustre habituellement par un échange de baisers, voire une demande en mariage. Mais quand tout est suggéré dans un non-dit éloquent, des regards qui nous font fondre et une tristesse qui s’empare du spectateur, l’amour était bien là, même s’il n’a pu se réaliser. C’est la force du metteur en scène Clint Eastwood qui sait par petites touches nous émouvoir, tout comme Meryl Streep et Clint Eastwood, acteur cette fois, qui se rencontrent par hasard. Lui est photographe de ponts couverts pour National Geographic, elle, une modeste femme d’intérieur qui a un mari et des enfants adolescents. Une forte attirance va naître entre eux, mais la raison l’emportera, même si elle se sent emprisonnée dans un mariage sans passion. Ces quatre jours passés ensemble ne seront jamais oubliés. Et nous sortons du film les larmes aux yeux…
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♦ Correspondance (1944-1959) Albert Camus Maria Casarès
par Brigitte Leprince
« Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n’étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé de changer. […] Avant toi, hors de toi, je n’adhérais à rien. […] Avec toi, j’ai accepté plus de choses. J’ai appris à vivre… »
« Depuis quinze ans tu n’as pas partagé ma vie, tu es ma vie. »
« La vie sans toi, ce sont les neiges éternelles, avec toi, le soleil des ténèbres, la rosée du désert. »
On peut s’étourdir de ces passages extraits des 865 lettres sublimes échangées entre Albert Camus et Maria Casarès. Ces lettres font partie des plus belles pages de la littérature amoureuse ! La force, la délicatesse, la poésie, l’élégance et la passion sont réunies dans ces bijoux. Ils se rencontrent en 1944 à Paris lorsque Albert Camus vit éloigné de son épouse. Il confie à Maria Casarès un rôle dans « Le Malentendu » et, très vite, une relation clandestine débute. Les nombreuses séparations et les retrouvailles volées expliquent la profusion de lettres ardentes et la richesse de leur contenu. Sans cette clandestinité, sans ces interdits, sans la complexité de leur relation, ces magnifiques pages n’existeraient (peut-être) pas…
♥ Vivre d’amour et de liberté (2024)
par Brigitte Leca
Qui mieux que Golshifteh Farahani, comédienne franco-iranienne invitée par Augustin Trapenard à participer à La Grande Librairie du 6 mars dernier sur le thème de l’amour et de la liberté, peut incarner « J’ai péché », le poème de sa compatriote Forough Farrokhzad, comme si elle vivait sa propre scène d’amour ? Je suis restée suspendue à ses lèvres psalmodiant les mots brûlants de la poétesse iranienne, encore plus ardents et déchirants lorsque, à l’avant-dernière strophe, elle les déclame en persan. Un moment intense à voir en replay sur France.tv !
« J’ai péché, péché dans le plaisir, dans des bas chauds et enflammés.
J’ai péché, péché dans des bras de fer, dans des bras brûlants et rancuniers.
Dans ce lieu calme, sombre et muet, j’ai regardé ses yeux pleins de mystères
Et des supplications de ses yeux, mon cœur, impatiemment, a tremblé.
Dans ce lieu calme, sombre et muet, je me suis assise près de lui, agitée.
Ses lèvres ont versé l’envie sur mes lèvres.
Du chagrin de mon cœur fou, je me suis libérée.
Une histoire d’amour, je lui ai raconté :
‘Je te veux mon bien aimé ! Je te veux, toi dont les bras sont vivifiants. Je te veux toi, mon amoureux fou.’
L’envie a enflammé son regard, le vin rouge a dansé dans le verre
Et sur le lit doux, mon corps ivre de volupté sur sa poitrine a tremblé.
[STROPHE EN IRANIEN]
J’ai péché, péché dans le plaisir, près d’un corps tremblant et évanoui.
Seigneur ! Je ne sais pas ce que j’ai fait dans ce lieu calme sombre et muet. »
♥ Bérénice de Racine (1670)
par Michèle Robach
C’est bien l’amour que Racine met au premier plan dans sa pièce Bérénice, l’amour qui brûle les personnages, les calcine et les grandit. Titus, nommé empereur à la mort de son père ne peut épouser Bérénice, Reine de Palestine, car Rome n’autorise pas d’alliance avec une étrangère. Un mariage anticonstitutionnel, une liaison clandestine ou leur fuite, seraient autant de solutions indignes. Parce qu’elle est reine, Bérénice malgré sa passion pour Titus accepte de se séparer de lui et renonce à se suicider et Titus doit également renoncer à elle pour toujours, malgré son amour. « Je l’aime, je le fuis », déclare Bérénice. En fait, elle ne se résigne pas à partir mais elle contraint un Titus ambigu, à la limite de la schizophrénie, à une séparation nécessaire et tragique, au nom de leur noblesse à tous deux. Elle ne doute pas de la sincérité de son amant, c’est parce que Titus l’aime qu’elle accepte, malgré son désespoir, de se séparer de lui. Tel est le paradoxe tragique de cette pièce, car Bérénice n’est pas seulement une amoureuse, elle est aussi une reine incapable de compromission ou de trahison et Titus est un empereur et que choisir l’amour face à l’empire romain serait indigne de sa lignée. Aussi Bérénice le quitte-t-elle par amour, « Adieu Seigneur, régnez : je ne vous verrai plus ». Les héroïnes raciniennes sont des femmes fortes et Bérénice ne fait pas exception à la règle.
♥ Belle du Seigneur d’Albert Cohen (1968)
par Marie-Hélène Cossé
« Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né. »
Chef-d’oeuvre de la littérature amoureuse de l’époque, les 800 pages de Belle du Seigneur sont pour moi le roman d’amour par excellence où l’emporte « Éros », l’amour passion, comme le nomme André Comte Sponville, celui qui n’est pas amené à durer, mais à emporter et à perdre, tellement pur, tellement absolu, tellement intense, l’amour impossible ! Ariane et Solal l’incarnent dans cette oeuvre fleuve qui raconte une passion, de sa naissance à sa chute. La folie des débuts, de la séduction, suivie hélas de la routine et l’ennui qui s’installent, rongent tout et amènent au déclin jusqu’à, ici, l’irréparable. Mais qu’importe, ces deux-là m’auront fait vivre les plus belles pages d’amour qui soient pour moi dans la littérature !
« Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s’admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante exceptionnelle femme aimée parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu’ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c’était cela, amoureux, et il lui murmurait qu’il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu’ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu’ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d’elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs, oui, tous les soirs ils se verraient. »
♥ Pretty woman film de Garry Marshall avec Julia Roberts et Richard Gere (1990)
par Anne-Marie Chust
À l’époque où Pretty Woman a été tourné, on n’avait pas encore fait « haro sur le patriarcat » et le rôle cliché de l’homme qui sauve la femme était encore un classique : Edward (le ténébreux Richard Gere) traite Vivian (l’époustouflante Julia Roberts) comme son objet puisqu’il la paye pour ses services d’escort girl. Il lui donne des ordres, veut qu’elle s’habille différemment (depuis, toute comédie sentimentale qui se respecte a sa scène de shopping en musique), la somme de ressembler à ce qu’elle n’est pas vraiment (il l’oblige même à manger des escargots), mais tombe totalement sous son charme (a-t-on vu rire plus éclatant que celui de Julia Roberts ?!). Bien sûr, on pourrait penser que le film raconte l’histoire d’une princesse du trottoir en situation précaire sauvée par un prince de la finance et bien chanceuse d’être tombée sur lui, mais regardez et écoutez bien de plus près : Vivian est engagée, indépendante, on l’entend dire à notre bel Edward « je ne suis pas un jouet », « je ne suis pas à toi », ou encore « je fais ce que je veux, je choisis où, quand et qui ». J’adore la scène d’amour finale ! Souvenez-vous : Edward arrive en bas de l’immeuble où vit Vivian, dans une limousine blanche et vainc, pour la conquérir, sa peur des hauteurs et du vertige en montant la cage d’escalier extérieure avec un bouquet de fleurs entre les dents. Puis les deux tourtereaux s’embrassent tendrement, la caméra s’éloigne et clap de fin. Mais on a un peu tendance à oublier ce qu’ils se disent. Il lui demande : « Alors que se passe-t ‘il après qu’il soit monté au sommet de la tour et qu’il l’ait sauvée ? » et elle répond : « Elle le sauve à son tour (she rescues him right back )». Donc, en fait, c’était lui qui avait besoin d’être sauvé et elle qui lui apporte la délivrance ! Qui n’a pas voulu un jour être Julia Roberts et exercer son emprise ?…
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