Suivez le soleil 

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Chaque cycle de vie du tournesol incarne des symboles puissants et universels. Disque doré, vibrant d’énergie en pleine floraison, puis desséché, courbé, revenant à la terre lorsque la fleur se fane, le tournesol a toujours fasciné l’humanité par sa taille, son mouvement et sa puissance symbolique. C’est l’une des fleurs les plus représentée dans l’art¹.

Quand le tournesol paraît

Le tournesol est arrivé en Europe vers 1570, apporté d’Amérique par des colons espagnols et portugais. Sa beauté s’est imposée au point d’être rapidement devenue populaire dans les jardins et les ateliers des artistes. Le flamand baroque Antoon van Dycq l’immortalise dans son « Autoportrait au tournesol » réalisé en 1632. Il y présente le tournesol comme l’emblème de sa fidélité au roi. On retrouve au Grand Trianon à Versailles une représentation par Charles de la Fosse d’une nymphe, Clytie, amoureuse du dieu du soleil et changée en tournesol, datant de 1688.  La fleur est présentée comme une métaphore de l’amour. Au XVIIIe siècle, son intérêt s’est estompé. Puis en 1881, Monet reproduit un « bouquet de soleils » où des tournesols sont peints dans des couleurs de jaune doré, orange et brun qui créent une sensation de luminosité et de chaleur.

©Vincent Van Gogh - WikipediaMais c’est Vincent van Gogh, avec sa série de tournesols de 1889, qui en fera une fleur emblématique. Avec leurs formes tourbillonnantes, leur énergie, leur mouvement, le peintre a redonné vie aux tournesols dans le monde de l’art et en a fait une icône intemporelle. Ses fleurs, souvent représentées dans des vases, varient de l’épanouissement complet à la décomposition, reflétant ainsi tout un cycle de vie. Chaleur, beauté de la vie, le tournesol évoque la quête de spiritualité de l’artiste. Van Gogh cherche la lumière comme l’homme cherche Dieu, qui est lumière².

Évocateurs d’émotions positives

Pour de nombreux artistes, les tournesols sont bien plus qu’une simple fleur. L’impressionniste allemand, Emil Nolde (1867-1956) les représentait pour exprimer des émotions très intenses, brutes comme la vitalité et la passion. Le saisissant tableau, « La jeune fille aux tournesols », de Michael Ancher en 1889 est plus qu’un simple portrait d’une jeune femme pensive portant un bouquet. C’est une réflexion subtile sur la condition des femmes au XIXe siècle : les rêves et la réalité, les aspirations et l’espoir dans l’avenir, avec la lumière et le soleil comme force et résilience face aux difficultés et à la fugacité du bonheur. Georgia OKeeffe, connue pour ses grandes fleurs détaillées, explore la sexualité féminine. La manière dont elle agrandit et détaille les parties de la fleur peuvent évoquer des aspects de l’anatomie féminine, célébrant la vie et la nature dans leur forme la plus pure, la plus intime et sensuelle.

Pour David Hockney, les tournesols célèbrent la joie de vivre, la vitalité et la chaleur, rappelant l’été et les beaux jours. Autre symbole évocateur, Diego Rivera a souvent intégré ces fleurs dans des fresques murales pour symboliser le renouveau et la continuité de la culture mexicaine, autant de symboles de la résilience et de la force du peuple mexicain.

Puis la lumière disparait

Progressivement, les artistes vont représenter les tournesols pour aborder des thèmes plus sombres, les transformant en un puissant outil de réflexion et de critique sociale. Ainsi, par leur répétition qui tourne à l’obsession, ils deviennent un produit de consommation de masse chez Andy Warhol, même si l’humour n’est jamais absent, comme dans cette photo des années 80 où l’icône du Pop Art apparait portraituré avec un tournesol et un sac à dos, un clin d’œil à van Dyck. Alors qu’en Chine, le tournesol a été le symbole de la fidélité et de l’obéissance du peuple chinois à Mao Zedong, souvent comparé au soleil, l’artiste Ai Weiwei rassemble dans sa gigantesque installation, « Sunflower seeds », 100 millions de graines en céramique³, toutes identiques, faisant référence à cette iconographie et critiquant le contrôle et l’endoctrinement idéologique de la population, où chaque individu a perdu son identité.

Mais le plus saisissant reste Anselm Kiefer. À travers la représentation des tournesols en décomposition, l’artiste rappelle les conséquences dévastatrices de la guerre, chaque tige évoquant les cicatrices laissées par la Shoah sur la terre et sur l’humanité. Matière boueuse, ses fleurs en déclin, ressemblent à des êtres penchés, desséchés, à moitié décomposés. Les disques d’or de Van Gogh sont transformés en soleils noirs mélancoliques. Peut-on faire revivre l’art de ses ruines ?

Symboles de fidélité, de beauté, d’éphémère et de mort, ces fleurs insolites incarnent à travers le cycle de leur vie, une quête de lumière et de vérité dont se sont emparés avec génie des artistes qui ont marqué l’histoire.

Michèle Robach

¹Musée Artipelag à Stockholm, exposition « I follow the Sun » sur les tournesols dans l’art. Jusqu’en janvier 2025, curateur Bo Nilsson.
²Stéphane Guégan, auteur d’un ouvrage sur van Gogh.
³Exposition à la Tate Modern à Londres en 2010 et Artipelag 2024.

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