Entre l’art psychédélique et le Pop Art, l’artiste japonaise Yayoi Kusama est désormais bien ancrée sur la scène artistique avant-gardiste. Comme beaucoup de ses contemporains, elle évolue librement entre la peinture et la sculpture, l’art et le design, la performance et la vidéo, l’Est et l’Ouest. Les plus grands musées du monde accueillent ses rétrospectives. En 2012 le Centre Pompidou, la Tate Modern et le Whitney Museum of American Art. Récemment le Musée d’Art Moderne de Stockholm lui a consacré une exposition. La célèbre citrouille Pumpkin, dressée comme un phare sur l’île de Naoshima au Japon, est devenue emblématique de cet endroit incontournable pour les amateurs d’art contemporain.
L’affirmation d’un moi démesuré. En 1957, elle quitte le Japon pour vivre aux États-Unis après avoir brûlé les œuvres qu’elle ne pouvait emporter de la maison familiale. C’est ce goût de la provocation et ce sens de l’indépendance incongru chez les jeunes japonaises de son époque qui vont attirer l’attention. Kusama va très vite développer son réseau à New-York et exposer avec des artistes comme Klein, Warhol ou Rothko. L’enfant devenue artiste à la suite d’une hallucination va devenir une femme artiste, politique, libérée avec ses happenings dénudés libertaires et contestataires .
La place du spectateur dans le cosmos réduite à un point. Kusama invite les visiteurs à se perdre dans des espaces sans frontières, des infinity rooms, des salles de miroirs, dans des filets, au milieu de murs tapissés de pois de polka rouges ou blancs avec lesquels elle couvre le monde, le cosmos. « C’est en pressentant cela que je puis me rendre compte de ce qu’est ma vie, qui est un pois ». Avec le concept de self obliteration, les points rouges vont envahir toutes les installations de sorte que chaque objet disparaît dans un ensemble de points et perd son caractère distinctif, comme cette vitrine de Louis Vuitton où Kusama apparaît comme un élément fondu dans le décor au même titre que les sacs, les murs, les coussins, le sol, bref un processus d’effacement, d’autodestruction.
La démesure jusqu’à la folie ou la folie de la démesure. Kusama n’a jamais fait mystère de ses troubles psychiques. Ses œuvres exorcisent ses angoisses. Son installation Heaven and Earth en 1991 est composée de caisses posées à même le sol et débordant de phallus en tissus blanc, pareils à des champignons. Étrange installation qui rappelle d’autres créations plus anciennes de foisonnement de phallus couverts de pois rouges. Est-ce l’évocation de la maladie (on pense à certaines représentations de Keith Haring où les portraits sont vérolés de points rouges évoquant le virus du Sida), son dégoût assumé de la sexualité ou les hallucinations suite aux explosions nucléaires qui ont marqué les artistes japonais de l’après-guerre ?
Il est difficile de résumer une artiste comme Yayoi Kusama. Derrière une marque de fabrique simple : ses fameux pois rouges ou blancs, se cache un art complexe, torturé. On ressort d’une exposition avec le sentiment d’avoir vécu une expérience ludique tout en se sentant pensif et en apesanteur.
Michèle Robach
Mid&Japon
Site : Yayoi Kusama