Les chevaliers de la bombe

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Mouvement artistique peu connu injustement associé au tag et boudé par l’histoire officielle de l’Art, le Pressionnisme est à l’honneur à la Pinacothèque grâce à une très intéressante exposition¹ rassemblant une centaine d’œuvres réalisées entre 1970 et 1990 par les plus grands maîtres du graffiti sur toile. Visite guidée en compagnie d’Alain-Dominique Gallizia², bouillonnant commissaire de l’exposition.

« Rien à voir avec l’impressionnisme ou l’expressionnisme même si ce sont tous trois des mouvements artistiques. Celui-ci est beaucoup plus récent, c’est l’art du graffiti. Ce mot vient de la pression de la bombe aérosol et de la rue, c’est un art dit “sous pression” ». Alain-Dominique Gallizia

Naissance d’un mouvement. Il convient de rétablir la vérité : le graffiti n’est pas né dans la rue comme le tag, mais bien dans des ateliers où les toiles font l’objet d’esquisses. Les jeunes Portos-Ricains de New York souhaitant se faire connaître décident de faire des sortes d’étiquette (tag en anglais) qui leur permettent de se différencier, leurs noms étant tous similaires. Les premiers artistes se définissent comme des écrivains (writers) et leur arrivée couplée avec l’utilisation de la bombe de peinture en fait un mouvement qui n’est plus identitaire, mais artistique. Le graffiti est né où le trait entoure la lettre (alors que dans le tag le trait forme la lettre).

L’art de la bombe et du duel. Les duels d’écriture entre artistes naissent. Leur communauté est réduite, leur art est illégal, mais pas immoral disent-ils (pas de quête dans la rue !). Ils utilisent 8 bombes au maximum, c’est-à-dire peu de couleurs, car il n’y a pas de mélanges possibles. Chaque artiste utilise un demi-tableau, les règles sont très strictes et l’art de manier la bombe très technique. Quatre paramètres influent sur le trait : la distance, la vitesse, l’inclinaison de la bombe et enfin la pression. Il faut une pratique régulière pour parvenir à un travail de qualité. Certains renoncent au bout de deux ans et se tournent vers le pochoir. Il faut cinq ans de pratique environ pour devenir bon !

L’évolution du mouvement. Le premier mouvement utilise les lettres et le tag (la signature en noir ou rouge ou qui dégouline), puis les figures apparaissent par déformation des lettres, puis les fonds qui sont de plus en plus travaillés (le travail du fond est une des caractéristiques du Pressure Art). Arrivent ensuite les personnages qui viennent au centre. Mais c’est toujours l’écriture qui prône, même si elle passe en périphérie. Vient ensuite l’abstraction. Les lettres disparaissent. Dans la deuxième période du Pressionnisme, les artistes utilisent plus de bombes (une cinquantaine), les toiles ont donc plus de nuances car plus de couleurs.

S’il fallait retenir un nom ? Parmi Ash, Bando, Crash, Dondi White, Futura, Jonone, Lee, Phase 2, Seen, Taxi 183, Zephyr… retenons celui de Rammellzee, grand maître américain, né en 1960 dans le Queens, mort en en 2010, artiste pluridisciplinaire (il est aussi musicien, apparait dans plusieurs films de Jim Jarmusch). Celui qui qualifiait son travail de futurisme gothique a une grande influence sur Jean-Michel Basquiat dont il fut l’un des maîtres avant que celui-ci ne le quitte pour Andy Warhol. Toute une salle lui est consacrée au sous-sol de la Pinacothèque. En France, c’est l’artiste Bando qui lance le mouvement en 1983, appuyé par Agnès b³.

Et aujourd’hui ? Si le récent engouement pour le Street Art a mis en lumière de nombreux artistes du mouvement, il n’en reste pas moins un art blacklisté et mal connu (vous trouverez d’ailleurs peu d’articles dans la presse sur cette l’exposition …). Il faut espérer que les œuvres ici révélées au grand public permettront de comprendre l’histoire intéressante de ce mouvement resté confidentiel. Le MOMA de New York vient d’acheter sa première toile graffiti (une œuvre de Rammellzee). Un début de reconnaissance ?

Marie-Hélène Cossé

¹Le Pressionnisme 1970 – 1990, les chefs-d’œuvre du graffiti sur toile de Basquiat à Bando jusqu’au 13 septembre 2015 à la Pinacothèque de Paris.
²Architecte, mécène urbain, curateur-collectionneur, expert et conseil, œuvrant à la reconnaissance de l’Art du Graffiti, Alain-Dominique Gallizia possède plus de 500 œuvres sur toile de ce mouvement (Collection Gallizia).
³Lire Agnès b., glaneuse dans notre rubrique Talents de la semaine.

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