À quoi pensent les jeunes filles : Adèle & Sarah les rebelles

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Nous avons proposé à quatre étudiantes à la Sorbonne, effectuant leur stage de fin de licence au sein de notre rédaction, de nous présenter, dans le cadre de leur travail de soumission de mémoire, des femmes pionnières d’hier et d’aujourd’hui choisies dans leurs domaines d’études. Vous découvrirez cet été, publiés dans notre rubrique Société, leurs travaux dont les choix vous surprendront peut-être… ou pas !

Marie-Hélène Cossé et Vicky Sommet

ADÈLE ET SARAH, LES REBELLES

Encensées par la critique pour leur talent d’une part, furieusement critiquées pour leurs actions et leur manière d’être d’autre part, Sarah Bernhardt et Adèle Haenel, à 150 ans d’écart, forment un duo qu’on pourrait nommer « les rebelles ».

Sarah Bernhardt, la « voix d’or »¹ scandaleuse

Sarah Bernhardt, née en 1844, ayant intégré le conservatoire d’Art dramatique de Paris dès ses quinze ans et reconnue par ses rôles indifféremment masculins ou féminins (comme Hamlet de Shakespeare), entre à la Comédie Française en 1862. Mais son caractère se révèle rapidement, elle en est congédiée quatre ans après pour avoir giflé une partenaire de scène. Plus tard, elle démissionne d’elle-même du théâtre « Le Français », alors en plein essor, pour créer sa propre compagnie, obligeant ses patrons à lui verser près de 100 000 francs de dommages et intérêts. On la voit prendre parti dans les débats de son époque comme dreyfusarde ou aux côtés de Louise Michel. Mais ce qui résume le mieux son audace et son mépris des conventions, c’est sa devise : « Quand même ! »

Une actrice à la destinée fulgurante

Comme Sarah Bernhardt, Adèle commence le théâtre très jeune, à cinq ans. Son premier film, Les Diables (2002), survient alors qu’elle n’a que onze ans. Même si le tournage ne lui laisse pas d’agréables souvenirs, notamment à cause du réalisateur Christophe Ruggia, elle enchaîne les productions à partir de 2007 : de La Naissance des pieuvres au Portrait de la jeune fille en feu en 2019 (deux films de Céline Sciamma), elle joue dans près de 30 films ! À trente ans, dix de ses rôles sont entrés en compétition au festival de Cannes, dont deux nominations qui ont donné lieu à un César : Suzanne en 2014 et Les combattants en 2015. D’abord nominée comme « Espoir du Cinéma », elle brigue rapidement les plus grands prix avec le César de la Meilleure Actrice en 2015. Elle est montée dans la critique du statut de prodige à celui d’égérie du cinéma d’auteur français. 

Le féminisme en bannière

Mais le point commun de tous ses rôles, c’est l’engagement. Le but pour elle n’est pas d’influencer les spectateurs, mais de choisir des rôles qui correspondent à ses valeurs. Elle dit elle-même en avoir refusé de nombreux, parce que les personnages étaient sexistes, ou les femmes trop faibles. C’est pourquoi tous ces rôles sont ceux de femmes puissantes, libres et non réduites à un aspect plat de leur personnalité. De la même manière, on la retrouve à trois reprises au moins dans des personnages lesbiens, non pour lutter pour les droits LGBT+, mais en accord avec ce qu’elle est.

Une insolence à la Sarah Bernhardt

Hors de ses rôles, elle s’engage dans la lutte féministe par sa présence à de nombreuses manifestations. Elle est membre du collectif 50/50 qui vise à établir une égalité plus grande dans le milieu du cinéma entre hommes et femmes. Ses prises de position sont les plus virulentes lorsqu’il s’agit du mouvement #Me Too : après avoir accusé son ancien réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements sexuels, elle est la première personne à quitter la salle des Césars lorsque le réalisateur Roman Polanski obtient le César de la meilleure réalisation. Son fameux « C’est la honte ! » fait l’objet de nombreux éloges comme de violentes critiques de toutes parts. Adèle a toujours suscité des sentiments ambigus aux spectateurs : soit elle est détestée, soit elle est adulée. En tous les cas, ce qui est peut-être vu comme de l’insolence serait plutôt une simplicité et un naturel détonnant dans le milieu convenu du cinéma. Pour Thomas Cailley, qui l’a dirigée dans Les combattants, elle « est un mélange de femme fatale et d’ado brutasse » : normal que cela ne plaise pas à tout le monde !

Pour Sarah Bernhardt comme pour Adèle Haenel, leurs comportements ne sont pas de l’insolence, mais de la liberté. Aucune des deux, chacune à leur manière, ne voulait respecter les codes établis, si ceux-ci ne correspondaient pas à leurs valeurs. Adèle Haenel le résume en ces mots : « On m’a collé cette étiquette de femme toujours en colère – pourquoi pas ? Si résister à certains diktats que nous impose la société, c’est être en colère, si être en colère, c’est ne pas vouloir se résigner et refuser d’adouber le monde qui nous écrase, alors oui, je le suis. »

Lucile Suire
Étudiante en licence à la Sorbonne
article écrit dans le cadre de son projet de mémoire en collaboration avec Mid&Plus

¹Victor Hugo

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