Romancière toulousaine à succès depuis son premier opus Voulez-vous tuer avec moi ce soir, Céline Denjean nous régale avec ses policiers très noirs. De ses études de droit qui lui ont sans doute ouvert, voire initiée, aux arcanes des enquêtes judiciaires à sa formation d’éducatrice spécialisée, Céline Denjean a su entremêler plusieurs cordes à son arc.
Se consacrant totalement à l’écriture depuis le milieu des années 2010, elle a d’abord créé un personnage phare, Eloïse Bouquet, Capitaine de gendarmerie de la Section de Recherches de Toulouse, que l’on suit dans des affaires policières fortement imprégnées de l’ambiance de Toulouse et des Pyrénées, région où l’auteur a grandi. Depuis Matrices (2022), elle a démarré une nouvelle série avec Louise Caumont, major à la Brigade de Recherches de Tarbes. Les enquêtes se déroulent au cœur des montagnes pyrénéennes. Mais Céline Denjean, c’est aussi une initiative hors du commun, la création en 2022 du collectif Les Louves du polar¹ visant à faire reconnaître le travail et les œuvres des romancières francophones de polar.
« Voulez-vous tuer avec moi ce soir » est votre premier roman. Quelle a été sa genèse ?
En écrivant ce premier polar, j’avais envie de rompre avec mes dernières lectures qui mettaient en scène des tueurs en série sophistiqués, hors norme avec des modes opératoires incroyablement complexes (tout droit inspirés de Hannibal Lecter). Je voulais faire un focus sur le criminel ordinaire, celui que les faits divers de base révèle, celui dont beaucoup disent ensuite, « c’était un voisin charmant, un homme ordinaire, on n’aurait jamais cru ça de lui ». J’ai donc brossé le portrait de ce criminel banal, fondu dans l’environnement qui passe sous les radars. Pour moi, la vraie question était, à quoi peut bien ressembler un de ces types au quotidien, comment passe-t-il inaperçu ? De là est né un récit qui rompt avec le polar habituel, puisqu’on sait dès le début qui est le tueur ! Le lecteur plonge alors dans la tête d’un homme ordinaire… en apparence !
Est-ce ce premier livre qui vous a décidé à vous consacrer corps et âme à l’écriture ? Laisser de côté votre profession d’éducatrice spécialisée n’a-t-il pas été difficile ?
Ce livre m’a surtout permis de me prouver que je pouvais être éditée, ce dont je rêvais déjà… Avant lui, j’avais écrit plusieurs manuscrits dans des genres très différents, mais la recherche d’éditeurs étant complexe (un vrai chemin semé d’embûches). Je consacrais heureusement bien plus de temps à écrire qu’à courir après une publication ! Stopper mon activité professionnelle a pris des années. J’ai longtemps concilié mon travail dans le secteur médico-social et mon travail d’écriture. Et, quand j’ai pu me consacrer entièrement à l’écriture, je l’ai fait.
Après votre premier roman policier ont suivi six autres romans dont le tout dernier « Précipice » à la couverture rouge flamboyant, déjà promis à un bel avenir. Comment trouvez-vous le fil directeur de vos histoires ?
Je m’intéresse d’abord à un sujet, je me penche sur un thème qui me questionne. De là, j’essaie de voir si le début d’une histoire germe ou non. Si je tiens le début d’une histoire, le travail peut commencer. Par exemple, dans Précipice, c’est le sujet des adolescents qui fonde l’intrigue. Je voulais travailler sur cet âge charnière où l’on se construit une « famille » (bande) hors de sa famille de souche, où l’on a besoin d’appartenir à un groupe, où l’on est prêt à repousser ses limites, à prendre des risques, à se faire peur parce que l’on se sent immortel… un âge aussi où tout est excessif, exalté : l’âge des passions, des amitiés à la vie à la mort, des pactes et des secrets…
En 2022, vous vous êtes lancée dans une nouvelle aventure, la création du collectif « Les Louves du polar ». Qui collabore avec vous et quels sont les tenants et aboutissants ?
Nous étions une poignée d’autrices françaises à nous demander pourquoi les femmes étaient moins visibles en magasins, moins mises en valeur…, alors que le genre noir est le terreau créatif de nombreuses femmes en France (environ 40% des écrivains de littérature noire sont des femmes) et que les pays anglo-saxons ou scandinaves savent parfaitement mettre leurs autrices de noir à l’honneur. Au lieu de nous poser trop de questions sur le pourquoi du comment de la chose, nous avons préféré agir. L’idée, dès le départ, a été celle-ci : on entend peu parler des femmes francophones autrices de polars ? Qu’à cela ne tienne, on va agir, on va se mettre en avant ! De là, est né le collectif et on a commencé à faire du bruit avec une vidéo de lancement au ton décalé et drôle, à mettre en lumière les productions féminines (passées ou actuelles) et de nombreux partenaires de la chaîne du livre se sont intéressés au collectif et ont proposé des actions concrètes de mise en avant en magasins, d’opérations promotionnelles via leurs réseaux sociaux…
Quels ont été les succès depuis sa fondation et quels sont ses projets ?
Le collectif a moins d’un an, il compte pourtant de beaux partenariats : libraires indépendants, les enseignes Cultura, Maisons de la Presse, Festival Quais du Polar, Be Polar, organisateurs de salons… De nombreux blogueurs et lecteurs s’en sont aussi saisis pour valoriser les autrices dans leurs communications RS. Bref, beaucoup de belles choses ont été réalisées et de nouvelles le seront. Nous souhaiterions notamment publier un recueil de nouvelles, créer un Prix Féminin du Noir et conduire toute action en partenariat avec la chaîne du livre qui valorise les autrices françaises, rappelant ainsi que le genre noir n’a pas de genre !
Nancy Besse
SES ROMANS : Voulez-vous tuer avec moi ce soir (2014), La Fille de Kali (2016), Le Cheptel (2018, Prix Polar du meilleur roman francophone au Festival Polar de Cognac, Prix de l’Embouchure du Festival Toulouse Polars du Sud, Prix Mordus de thrillers), Double Amnésie (2019), Le Cercle des mensonges (2021, Prix des journalistes Dernières Nouvelles d’Alsace, Matrices (2022, Finaliste Prix Landerneau, Finaliste Prix Cultura de l’Imaginaire), Précipice (2023).
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