Elyès Jouini, les femmes et la science

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Un portrait d’homme direz-vous ? Une fois n’est pas coutume ! Puisque celui-là est un « homme à femmes », mais pas au sens où vous l’entendez… Elyès Jouini dirige à l’Université Paris Dauphine la Chaire Femmes et Science, créée à son initiative en 2018. Son mantra ? Donner aux femmes la place qui leur revient dans la science.

Un parcours de matheux

Né à Tunis, Elyès a grandi et étudié entre la France et la Tunisie et continue toujours à avoir un pied de chaque côté de la Méditerranée. Après une formation de mathématicien (rue d’Ulm et agrégation), il évolue vers l’économie et fait sa carrière entre la France et les États-Unis. Entré à Dauphine en 2000, il en deviendra vice-président en 2004 jusqu’à 2019, où il décide de se consacrer à la recherche, en fondant notamment la chaire dédiée aux femmes et à la science. Ses centres d’intérêt ? L’économie en lien avec la prise de décision individuelle vs. collective ou l’analyse des comportements et leur impact sur le groupe. Aujourd’hui il s’intéresse plus particulièrement à la question de la place des femmes dans le marché scientifique : « Il nous faut aller chercher les filles ! »

« À Paris Dauphine, il y a autant de garçons que de filles sur l’ensemble des effectifs. Mais à l’entrée, en éco-gestion, il y a plus de filles et dans la filière mathématiques-informatique, plus de garçons. Puis la différence s’accentue encore avec les années au sein même de la gestion car elles sont plus nombreuses en marketing ou RH qu’en finance. »

Autocensure

En informatique, par exemple, la proportion de femmes est en baisse de 20% par rapport aux années 1990. « Globalement les femmes ont des meilleurs résultats que les garçons et réussissent mieux. En même temps, au fur et à mesure des paliers d’orientation, elles sont de moins en moins nombreuses à choisir des matières scientifiques, puis des carrières scientifiques. » explique Elyès. Ce qui est intéressant, c’est que ces carrières scientifiques ouvrent un certain nombre d’accès à des professions bien reconnues, bien rémunérées, souvent des positions de pouvoir. Pourquoi cette auto-censure alors ? Ce désinvestissement ? Par goût ? Par manque de confiance ? Le poids de l’environnement ? De la famille? Est-ce à dire que les femmes ont peur du pouvoir ou ne le cherchent pas ? Toutes ces questions font l’objet d’analyse et de recherche.

Beaucoup de résultats permettent d’ores et déjà d’enrichir la réflexion : Même lorsqu’elles sont excellentes en sciences, les filles sont souvent encore meilleures en lettres et cela les pousse à moins choisir les sciences. Les profs ont tendance à plus pousser les garçons dans les matières scientifiques. Et de fait, dans les écoles non mixtes, les filles choisissent plus les filières scientifiques car, face à une population homogène, leurs enseignants ne sont plus soumis au biais du genre. De même, les filles de femmes scientifiques sont plus nombreuses à être scientifiques, d’où l’importance des modèles. Plus le pays est riche, développé et égalitaire, moins les femmes sont présentes dans les champs scientifiques. Les pays où les femmes réussissent le mieux sont les pays où les pauvres réussissent le mieux…

Il suffirait de pas grand chose…

À l’initiative d’Elyès, l’Université Paris Dauphine crée en 2018 une chaire d’enseignement et de recherche pour financer des travaux interdisciplinaires sur ces sujets. La Chaire devrait être inscrite sur la liste des Chaires UNESCO à l’issue de la cérémonie de signature prévue ce 1er décembre. « Il est important de faire bouger les lignes, de porter des messages, de faire évoluer les comportements. » Aujourd’hui cinq entreprises accompagnent le projet, chacune dans un domaine où il existe un fort déficit en femmes : la Fondation L’Oréal, Generali, La Poste, Safran et Talan, toutes intéressées car elles voudraient recruter plus de femmes, mais sont confrontées à des viviers insuffisants du côté des filières de formation. Pour avoir la parité, il faut dont agir en amont au niveau de la formation avant d’agir sur le recrutement. Il suffirait de pas grand chose…

Donner les bonnes impulsions au bon moment, amener les filles à considérer les études scientifiques au même titre que les études littéraires. Le rôle de la famille, des enseignants et des conseillers d’information est donc capital. Le regard porté par la société, l’entourage et les pairs, l’est tout autant. À l’heure de l’intelligence artificielle où ce sont, pour l’instant, les hommes qui prennent la main, il est nécessaire et urgent d’agir : « C’est du gâchis car on a besoin de toutes les compétences ! » conclut Elyès.

Marie-Hélène Cossé

CONFÉRENCE EN LIGNE
« Femmes en science : pourquoi est-ce une nécessité ? »©Paris Dauphine - csm_chaire-femmes-science-microscope_copie_78d5d69f02

Le programme sera riche d’interventions de chercheurs de tout premier plan, de grands témoins, de responsables d’institutions académiques et non-académiques autour des déterminants, des freins et des enjeux d’une plus grande présence des femmes dans les études et les carrières scientifiques. Conférence animée par notre collaboratrice Vicky Sommet. S’inscrire

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