Elle est une star incontestée de la culture pop afro-américaine. Elle est devenue un sujet d’analyse philosophique dans les universités américaines et récemment à l’École Normale supérieure de la rue d’Ulm. Mais quels sont donc les ressorts de la puissance séductrice de Beyoncé ?
La culture afro-américaine
Ses vidéos sont des storytellings d’une communauté noire qui choisit de mettre en avant son histoire et sa culture. Dans l’album Lemonade (2016), elle affirme sa négritude et défie les normes pour produire un art engagé en utilisant les thèmes rencontrés par les femmes noires dans la société. L’album se clôt par le single polémique Formation, une vidéo qui rappelle l’ouragan Katrina, les violences policières sur les Noirs et les injustices sur la communauté afro-américaine. Elle utilise l’album afin de conscientiser les femmes noires et faire un rappel sur leur identité. Dans ses clips, elle use de tout ce qui peut aider à recréer en images l’imaginaire noir américain : la maison coloniale, les costumes, les coiffures afro, qui montre la beauté noire à l’état pur, prolongement du slogan « Black is Beautiful » lancé depuis Harlem en 1962. Parfois le discours se veut plus politique comme au cours du morceau Forward, où les mères des trois victimes emblématiques des violences policières ayant déclenché le mouvement #BlackLivesMatter font une apparition et fixent la caméra en silence pendant plusieurs secondes en tenant les portraits de leurs fils décédés.
La culture féministe
Les textes de Beyoncé sont émaillés de références féministes pour la plupart d’écrivains, poètes, femmes politiques africaines. En 2013, dans son album éponyme, elle interprète une chanson Flawless avec des incises de textes inspirées de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, dont la conférence TED « We should all be feminist » est devenue virale après la sortie du disque. Beyoncé met aussi en avant des figures plus marginales comme les queers, dont elle est l’idole, car elle englobe un mouvement féministe beaucoup plus large en faveur de l’inclusion. Elle fait l’éloge de l’indépendance financière des femmes, de la maternité, du mariage pour tous. Ses titres parlent pour eux-mêmes : If I were a boy, Who run the world ? GIRLS !, Upgrade you, Grown Woman, autant d’interpellations et de signaux de ralliements. Parfois elle aborde des thèmes plus universels comme dans le clip de Hold up, chanson rageuse sur la jalousie où elle clame son amour pour son partenaire tout en questionnant sa fidélité. Mais sa souffrance est magnifiée et ses réactions présentées comme des manifestations pour les droits civiques, ou des actes de résistance.
Les polémiques qui égrainent sa carrière
Certaines théoriciennes du Black Feminism¹ doutent de sa sincérité à cause de son hyper sexualisation et du fait qu’elle est mariée à Jay Z qui a pu énoncer des textes sexistes. Elle heurte aussi pour ses rapports ambivalents au capitalisme dont elle profite sans ambiguïté². Mais comme le souligne Elsa Dorlin³, le féminisme afro-américain a toujours travaillé à lutter contre le stéréotype de la femme noire hyper sexualisée, hyper lascive. La manière de Beyoncé de lutter contre ce stéréotype est de se l’approprier pour incarner pleinement l’image d’une femme noire en pleine puissance d’agir.
Celle qui a été désignée par The Guardian comme l’artiste de la décennie 2000, a trouvé elle-même la réponse à l’énigme qu’elle suscite. Dans son dernier disque, Renaissance, elle se définit comme un alien : je suis le numéro un, je suis l’unique, personne d’autre dans ce monde ne peut penser comme moi.
Michèle Robach
¹L’universitaire et philosophe, bell hooks, l’accuse d’opportunisme.
²Elle donne pour 24 millions de dollars un concert à Dubaï, pays régi par des lois LGBTphobes. Elle chante pour l’investiture d’Obama.
³Professeur des universités, médaille de bronze du CNRS pour l’ensemble de ses travaux sur la philosophie et le genre.