De la matière-terre à l’expression artistique, c’est le chemin que franchit Marie Saint Bris dans son atelier de la rue du Bac, où elle accueille amis de passage, collectionneurs et élèves. Sa passion se situe quelque part aux confins du besoin de transmettre et du désir de création, dans un hors- temps entre le geste, la parole et la lecture des feuilles de thé japonais.
De la restauration à la création
Formée à la restauration de céramiques, Marie se perfectionne à Tokyo dans la méthode ancestrale du Kintsugi qui suppose patience, exigence et précision. Le Kintsugi est une méthode complexe, élevée au rang d’art, qui permet de réparer les objets abimés, en dissimulant les fêlures et en les sublimant avec de la laque saupoudrée de poussière d’or. C’est une véritable ode à l’imperfection et à la fragilité. L’esthétique de la céramique est complètement transformée. Son vécu et les accidents subis lui redonnent une nouvelle vie, faite de résilience et du soin qu’on lui a apportés. De retour en France, inspirée de cette philosophie, Marie découvre le travail de Fance Franck, céramiste américaine iconique, qui a étudié la poésie contemporaine à Harvard. Les mots et le geste, une belle résonance qui séduit la restauratrice de céramiques, elle-même passionnée de littérature. Lorsque Fance Franck rencontre l’artiste française Francine Del Pierre, elles fondent, dans les années 60 l’atelier de la rue Bonaparte qui deviendra un lieu de travail et de rencontres¹. Leurs pièces sont montées au colombin plat (et non pas tournées, comme c’est l’usage).
C’est cette technique originale à l’époque, véritable danse des mains, qu’étudie Marie Saint Bris pendant 5 ans dans cet atelier, qui va l’amener à s’affranchir du traditionnel tour de potier et à créer ses propres céramiques, légères et profondément marquées par son expérience extrême-orientale.
Un besoin impérieux
Bien que l’une des plus anciennes manifestations culturelles de l’humanité, la céramique a longtemps été minorée dans la hiérarchie traditionnelle de l’expression artistique. Ses rapports à l’art et plus largement à l’humain sont désormais repensés au point d’attirer un large public d’amateurs. La reconnaissance d’un âge de la céramique qui n’avait pas encore été consacré semble aujourd’hui plus que jamais s’imposer. Pour Marie Saint Bris, cet engouement n’a rien d’une mode, c’est un besoin impérieux qui s’inscrit dans le temps long, une façon de se reconnecter à la terre, à ses racines profondes, de se détendre, de se rassurer également comme en témoignent ses œuvres représentant des animaux, ses arbres de vie aux couleurs de tuiles anciennes vert-turquoise ou ses silhouettes féminines, idoles qui célèbrent la vie.
La part de l’incertitude
Aucune œuvre ne raconte la réalité mais toutes la rêvent. Ses céramiques sont réalisées à l’aide de grès rapporté de Saint-Amant-en Puisaye en Bourgogne et d’émaux qui leur donnent de l’éclat et les colorent de façon inaltérable. Sa marque de fabrique, secret bien gardé, mélange toutes sortes de matières: cendre d’os, kaolin, poudres d’oxydes de cuivre, de fer, de quartz. Elles vont donner aux céramiques les couleurs désirées ou plutôt espérées. « Au terme de la cuisson lente à 1 250 degrés, on ne sait jamais quel sera le résultat. L’obtention de la profondeur du vert céladon ou le miroitement du brun roux, relèvent de la « part du feu ». » explique l’artiste. Cette incertitude, ce côté aléatoire sont l’effet de surprise qui alimente sa joie, sans cesse renouvelée.
Dans le dilemme du céramiste, il y a ce qu’il faut détruire et il y a ce qu’il faut simplement éclairer et regarder afin de trouver la raison pour laquelle l’objet plait. Dans la céramique de Marie Saint Bris, c’est le besoin de nourrir son imaginaire qui interpelle.
Michèle Robach
Le site internet de Marie Saint Bris
¹Francine Del Pierre, Fance Franck « Dialogues de Céramistes » paru en 2004, chez Norma.