L’Effet Matilda¹, c’est ce phénomène qui veut que les femmes de science ne bénéficient que très peu des retombées, et ce, au profit des hommes. Au rang de ces dernières, Marthe Gautier, découvreuse de la trisomie 21, âgée aujourd’hui de 95 ans.
Pionnière en France dans l’étude des cellules
Après une année aux États-Unis où elle se familiarise avec les cultures cellulaires, Marthe Gautier rentre à Paris et, dans l’attente d’un emploi en cardiologie pédiatrique, trouve un poste à Trousseau en appui au sujet de recherche de Raymond Turpin, généticien, et de son assistant, Jérôme Lejeune, sur le syndrome de Down. Il est désormais établi que le nombre de chromosomes humains est de 46². Turpin émet alors l’idée d’effectuer des cultures cellulaires pour compter le nombre de chromosomes chez les patients atteints du syndrome de Down. Revenant des États-Unis après une expérience de la culture cellulaire, Marthe Gautier est la seule à connaître ces protocoles et à pouvoir les mettre en pratique. Elle se met au travail et constitue pour le Professeur Turpin le premier laboratoire de culture cellulaire in vitro en France.
Une découverte majeure
Le but est de comparer un caryotype normal³ avec celui d’enfants trisomiques. La chercheuse met alors en évidence que ces derniers possèdent 47 chromosomes (au lieu de 46). Jérôme Lejeune comprend l’intérêt de cette découverte. Il se fait confier les préparations pour en faire des photos, le laboratoire artisanal de Marthe Gautier ne disposant pas de photo microscope. Lejeune annonce lui-même la découverte de la trisomie comme l’anomalie due à la présence de trois chromosomes 21 au lieu de deux4 à un séminaire génétique de l’université McGill au Canada, en octobre 1958, sans mentionner les noms de Turpin et de Gautier. C’est un coup de génie : pour la première fois dans l’histoire de la génétique, un retard mental est associé à une anomalie chromosomique.
Le chromosome de la discorde
En janvier 1959, après avoir examiné d’autres cas, le laboratoire publie ses conclusions dans des comptes rendus de l’Académie des sciences. Les auteurs cités sont dans cet ordre : Jérôme Lejeune, Marie Ghautier (erreur sur le prénom et nom de famille mal orthographié !) et Raymond Turpin. Marthe Gautier n’apparaitra jamais en premier, même si sa contribution est quand même reconnue. À cet égard, elle écrira : « Je suis blessée et soupçonne des manipulations, j’ai le sentiment d’être la découvreuse oubliée (…) Trop jeune, je ne connais pas les règles du jeu. » Plus tard, le Comité d’éthique de l’INSERM reconnaitra le rôle clé de Marthe Gautier, soulignant deux problèmes éthiques contemporains : celui du genre et celui de l’intégrité scientifique, le premier auteur devant être celui qui a mené le travail expérimental, c’est-à-dire le sien !
Marthe Gautier va finalement abandonner les recherches sur la trisomie 21 pour se consacrer à la cardiologie infantile où elle va exceller. Pas de rancœur chez cette femme d’exception, mais son cas fait jurisprudence et de nos jours, les découvertes sont collectives et non plus individuelles.
Michèle Robach
¹Corolaire de l’effet Matthieu, qui désigne en sociologie des sciences le mécanisme par lequel les scientifiques les plus reconnus tendent à entretenir leur domination dans le domaine de la recherche et de l’innovation. Dans l’évangile selon Saint Matthieu, « on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. »
²Joe Hin Tijo, généticien, annonce en 1955 à l’Institut de génétique de l’Université de Lund (Suède) que le caryotype normal comporte 23 paires de chromosomes soit 46 chromosomes par cellules, 2 chromosomes de chaque sortes, un de la mère, un du père.
³Arrangement de l’ensemble des chromosomes d’une cellule à partir d’une prise de vue microscopique.
4D’où le nom de trisomie 21 pour caractériser cette anomalie chromosomique.