Clara Nahmias, toujours recommencer

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« Femme, juive, immigrée, chercheuse, mère, divorcée et handicapée » ainsi se définit-elle dans son livre¹ racontant les quinze jours de coma inexpliqués qui l’ont conduite à vivre aujourd’hui dans un fauteuil roulant. Qui êtes-vous Clara Nahmias ? Récit d’une incroyable gourmande de la vie.

Une enfance particulière et solitaire

Née en Tunisie, aînée d’une fratrie de 5 enfants, Clara vit un premier grand bouleversement à 18 mois lors de son arrivée à Paris. C’est un changement radical d’univers, de culture, de couleurs, la fin de l’indolence, l’odeur du jasmin chez ses grands-parents avec qui elle vivait. Le sentiment qu’il faut se débrouiller seule dans la vie l’étreint et ne la quittera plus. Elle apprend à lire et à écrire très vite pour s’intégrer et entre à l’école primaire avec deux ans d’avance. Petite de taille, c’est aussi la plus jeune, celle qu’on assied au premier rang, qui pose des questions. Bac en poche à seize ans, elle est reçue première au DEA d’immunologie de l’Institut Pasteur puis admise brillamment au concours du CNRS où elle entre en 1989. La même année elle se marie, a un premier enfant et soutient sa thèse !

« J’avais d’abord choisi médecine avant de comprendre que j’en avais assez de bosser et surtout que je ne voulais pas voir les gens souffrir mais plutôt comprendre comment se fait la vie. »

Clara décide d’arrêter l’immunologie et repart à zéro pour faire de la pharmacologie moléculaire. « Ça m’est arrivé plusieurs fois, j’ai l’impression de redémarrer tout le temps. » Elle commence par travailler sur le récepteur AT2, crée son équipe, reçoit la médaille de bronze du CNRS, puis développe une nouvelle protéine appelée ATIP. Entre temps, elle a eu un deuxième enfant et vit l’épreuve du divorce.

Inaccessible

L’accident se produit quand elle a 39 ans. Clara, perfectionniste, doute alors de tout, d’elle-même, de son rôle de mère, de femme, de chercheuse. « Je n’arrivais plus à faire face, j’étais submergée. » Elle veut s’en sortir seule malgré l’angoisse qui l’étreint. « Il faut que ça s’arrête » demande-t-elle à son ange avant de tomber dans le coma, un beau jour, sans crier gare. Elle se réveille au bout de 15 jours, amnésique et privée de l’usage de ses jambes. Clara passe un mois à l’hôpital et un an en rééducation aux Invalides (« comme si ça ne suffisait pas d’avoir été éduquée une fois »). Personne, aujourd’hui encore, n’a trouvé ce qui lui est arrivé. « Vous ne remarcherez jamais » lui disent-ils. « Ne pas te donner d’espoir, dans l’esprit collectif, c’est t’épargner la souffrance d’être déçu, comme si être déçu c’était pire que d’essayer de vivre. » Malgré cela, elle garde espoir et c’est entourée de thérapeutes (kiné, shiatsu, ostéo, pilates, etc.) qu’elle se bat toujours aujourd’hui pour marcher à nouveau.

« Parfois on essaye d’imaginer ce que peut être une vie coincée dans un fauteuil roulant, à quel point ça peut être compliqué, on pense alors bien sûr tout de suite au problème d’accessibilité, à toutes ces choses qu’on ne pourra plus faire, ces endroits où on ne peut pas aller. Mais il y a aussi un drôle d’effet boomerang, c’est qu’en fauteuil roulant on devient soi-même inaccessible aux autres, sans faire exprès. »

Chercheuse avant tout

Clara repart dans sa vie de chercheuse. « C’est ça qui m’a aidée à m’en sortir, ce qui me sort de cette situation angoissante, cette incapacité de sortir de mon lit, de faire un plat de pâtes. Je n’étais pas qu’une handicapée mais aussi une chercheuse. » Elle retourne au monde difficile et compétitif du labo. Elle n’a plus d’équipe, doit relire ses articles, reconstituer ses travaux et se retrouve, seule, encore une fois, à tout recommencer. Grâce à l’appui et à la confiance sans faille du directeur de l’Institut, Axel Kahn, des fonds sont débloqués, Clara peut reprendre ses recherches. Elle est reçue 2e sur 70 à un poste de directrice de recherche du CNRS. « On me redonne le droit d’exister ! »

Clara avoue que le pire en fauteuil roulant ce sont les gens qui veulent aider sans comprendre qu’en agissant ainsi ils vous retirent quelque chose, l’habitude de faire soi-même, le contrôle de soi. Tout l’enjeu pour elle consiste à accepter parfois l’aide et la refuser à certains moments (« je vais me dépasser »). Sa recommandation à ceux qui ont l’usage de leurs jambes ? Regarder dans les yeux la personne en fauteuil roulant et non pas celle qui la pousse…

Clara dirige aujourd’hui une équipe à Gustave Roussy qui a découvert une protéine appelée ATIP3 possédant une activité anti-cancer. Son équipe travaille à l’élaboration d’une nouvelle thérapie contre les cancers du sein les plus agressifs. Elle a créé en parallèle en 2009 l’association Prolific² afin de faire le lien entre chercheurs en biologie cellulaire et grand public. L’association récolte des fonds pour soutenir des projets de recherche innovants contre le cancer du sein et réunit chercheurs et citoyens via des conférences, concerts, expos, visites afin de diffuser la science hors des laboratoires, à la rencontre des citoyens.

Un fasciapulsologue, rencontré pendant son parcours pour recouvrer l’usage de ses jambes, met un jour des mots sur ses maux : « Vous avez vécu un violent conflit intérieur entre le désir et la loi. » Aujourd’hui, Clara qui est avant tout, vous l’aurez compris, une chercheuse au sens biologique du terme mais aussi une chercheuse de sens, a compris que la meilleure chose à faire, c’est d’être !

Marie-Hélène Cossé

¹« Le baiser de l’ange » de Clara Nahmias (Buchet et Chastel, octobre 2007).
²Prolific

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