C’est au détour improbable de la rue du Port de Limeuil, un des plus beaux village de France dans le Périgord, que se niche Monique Peter Reynen, dite Petrusse, l’indomptable, fondatrice de la marque Jeanne & Sauvage. De son séjour initiatique en Inde, lui vient sûrement son don pour la réincarnation et ses multiples vies.
« Ça, c’est le passé »
On sent comme une résistance de Petrusse à parler du passé. Elle qui vit le moment présent intensément, tourne les pages et se projette toujours dans l’avenir sans appréhension. Cependant, comment ne pas conter sa belle histoire rythmée par ses origines ? Des parents hollandais : Peter, scientifique, sérieux, dont elle a féminisé et fait sien le prénom, Petrusse, et Monique, Marie, Jeanne, écrivain, peintre, totalement libre.
« L’éducation, sévère et riche en culture de mes parents, m’a donné ma force de vie. Je viens d’une vie paysanne très rude et il a fallu que je me fasse moi-même. Ma dose d’inconscience et ma jeunesse éternelle ont fait le reste. Je n’ai pas peur, j’adore les défis ! »
Premier défi, un grand voyage en Inde qui l’amène à rencontrer les tisserands dans le Penjab avec lesquels elle tissera pendant vingt ans. Elle en rapporte des étoffes « étranges » qu’on n’avait jamais vues alors. Le cachemire, passé de mode à l’époque, retrouve une nouvelle jeunesse. Et la Maison Petrusse, en l’honneur de son père, nait en 1998. Le château Mauriac sert d’écrin à la marque. Châles, étoles, robes, deux collections par an, catalogues, défilés, salons internationaux…
« J’ai travaillé dans la joie avec une équipe formidable. J’ai voulu en faire une entreprise pour l’exemple avec une belle équipe de femmes. Mauriac était comme une grande ruche, on avait tout : atelier de couture, marketing, commercial, cuisine, salons, bibliothèque des tissus, y compris les jardins pour les défilés et un patrimoine de cachemires des XVIIIe et XIXe siècles, grande source d’inspiration. »
La machine mise en place avance toute seule comme une espèce de train qui s’emballe, mais l’indomptable Petrusse veut retrouver sa liberté. L’aventure durera 22 ans. Elle n’avait jamais gardé une activité aussi longtemps. Petrusse cède sa société six mois avant le Covid.
« Dans la vie, il y a plusieurs vies »
« Ça m’a obligé à me poser, je dessinais beaucoup et voulais utiliser comme support le papier qui est au départ de tout. » Nouvelle corde à son arc : la création, couronnée de succès, de papiers peints panoramiques pour la marque prestigieuse Isidore Leroy. Et nouvelle aventure, Jeanne & Sauvage, en l’honneur de sa mère, qui aurait adoré s’appeler Jeanne et qui était sauvage.
« Elle était dotée d’une bravoure incroyable qui faisait que rien ne lui faisait peur. »
Petrusse décide de transformer sa résidence secondaire périgourdine en maison-galerie dans laquelle on peut se promener en imaginant les choses chez soi, en désacralisant l’art. Elle y expose ses créations protéiformes (textiles, porcelaines, dessins…) et y accueille des artistes dont les œuvres habitent les pièces de la belle demeure. Malgré son emplacement improbable, le lieu trouve vite son public et les artistes se pressent pour y être exposés. Salons littéraires, concerts, défilés de mode, concours de gâteaux, Petrusse n’est jamais à court d’idées pour faire vivre sa maison. Ça grouille de vie et de belles ondes quand on pousse la porte.
« J’adore faire la cuisine et je voudrais rajouter des ateliers cuisine. Les marchés m’inspirent et on peut faire de très bonnes choses avec peu. »
Petrusse est libre, généreuse, écoute son instinct et n’a pas peur. L’hiver, elle part en Afrique donner des cours de « rêverie » dans une école quelque part, au sud du Sénégal, sur la musique de Bach. « Merci Bach ! »
À bon entendeur…
Agnès Brunel-Averseng