« Monstre sacré »¹, tragédienne qui enfiévra le public du monde entier, Sarah Bernhardt fut comédienne mais aussi metteur en scène, directrice de théâtre, femme fatale et engagée, entrepreneuse de sa propre vie. « Vous ne me connaitrez pas » lança-t-elle à la postérité. Quel défi !
Le triomphe de la volonté
De père inconnu, elle est élevée par une nourrice bretonne et n’a pas parlé français jusqu’à l’âge de quatre ans. Sa mère la destine à une carrière de demi mondaine comme elle ou, pourquoi pas, comédienne. À l’âge de 16 ans elle entre donc au conservatoire de Paris, puis à la Comédie Française grâce au duc de Morny, son protecteur. Elle y joue des petits rôles, puis quitte le théâtre de Molière après avoir giflé une sociétaire. De toutes façons, son corps malingre, sa tignasse rousse ne correspondent pas aux canons esthétiques d’une époque qui célèbre la volupté charnelle. Mais dix ans après, en 1872, elle triomphe au théâtre de l’Odéon dans le rôle de Ruy Blas. Victor Hugo la surnomme « la voix d’or ». La Comédie Française retournera la chercher. Sarah Bernhardt a désormais pris son envol et va progressivement devenir une légende planétaire.
Outrancièrement théâtrale
Bien qu’ayant une voix aigüe et faible qui la destinait à des rôles d’ingénue, elle réussit à contourner ce défaut en insistant de manière emphatique sur l’aspect poétique des textes. Et, à sa voix de mélopée, se mêlent des gestes sculptés qui se voient de très loin, souples, le corps en spirale, qu’Alfons Mucha (qui lui doit son succès) a très bien saisis, la représentant, sur des affiches comme une liane. Alors qu’éclot l’Art Nouveau dans les années 1890, l’actrice sollicite de nombreux artistes afin de réaliser décors, accessoires, costumes. Par sa physionomie, ses vêtements et sa gestuelle, elle incarne l’une des caractéristiques les plus marquées de l’Art Nouveau : la courbe. Son influence sur ce courant stylistique a été considérable, inspirant peintres, sculpteurs, graphistes et écrivains.
Des idées à contre courant
Sa devise était « Quand même » illustrant son mépris des conventions. Elle est une androgyne légendaire dans L’Aiglon et dans Hamlet cassant les codes vestimentaires genrés. Elle conçoit le théâtre comme un art total et s’intéresse aussi à la mise en scène, introduisant des images filmées ou des animaux sur scène. Elle a le goût de l’extravagance, de la morbidité, prenant des photos d’elle dans des cercueils. N’oubliant pas son judaïsme, Sarah Bernhardt prendra la défense de Dreyfus aux côtés de Zola. Elle fut aussi l’amie de Louise Michel pendant la Commune de Paris et jouera le rôle d’une ouvrière d’usine dans une pièce socialiste², ce qui lui vaudra les critiques les plus virulentes. Elle fut une ardente défenseuse du droit de vote pour les femmes et pour l’abolition de la peine de mort.
Belle-Île : son refuge au bout du monde
Lorsque qu’elle débarque à Belle-Île en 1894 vers 50 ans, elle repère un ancien fort à l’extrême Nord de l’île avec la mer à perte de vue et d’énormes rochers dont l’un porte le nom de sphinx. C’est le coup de foudre, elle l’achète sans hésiter. « La première fois que je vis Belle-Île, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge. J’y découvris, à l’extrémité la plus venteuse, un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable… et qui par conséquent, m’enchanta. »³
Sarah Bernhardt arpenta les planches sur les cinq continents jusqu’à sa mort en 1923. Adulée et parfois cible de commentaires racistes, sexistes et antisémites, elle n’en fut pas moins une pionnière de la célébrité moderne, reconnue comme l’impératrice du théâtre4.
Michèle Robach
¹Expression inventée par Jan Cocteau pour décrire Sarah Bernhardt.
²Les mauvais bergers d’Octave Mirbeau.
³Mémoires de Sarah Bernhardt : « Ma double vie », 1907.
4Lire « Le rire incassable » de Françoise Sagan.