Les Jacquemart-André : l’art en partage

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Savez-vous qu’au-delà de la collectionneuse ambitieuse, Nélie Jacquemart-André était une femme mue par le profond désir de partager sa passion pour l’Art. Avec son mari Édouard certes, que serait Jacquemart sans André et André sans Jacquemart, mais in fine avec le public.

« J’espère qu’elles [mes œuvres d’art]serviront aux études de ceux qui se dévouent à l’art et à son histoire. »

L’énigmatique Nélie

En 1841, elle nait Cornélie Barbe Hyacinthe Jacquemart. Bien qu’issue d’un milieu modeste, Nélie Jacquemart est dès son enfance en contact avec la famille de Vatry, qui possède l’Abbaye de Chaalis (un élément clé de son existence). Serait-elle une enfant illégitime ? La famille de Vatry s’est éteinte sans héritier, mais a témoigné à Nélie une « amitié » sans faille et l’aider à se mettre à la peinture. Elle va rapidement y montrer des qualités et réussir à les exprimer à une époque où être femme et être peintre ne va pas de soi. Elle deviendra à partir de 1870 une portraitiste recherchée qui vit de son art et voit défiler le tout Paris dans son atelier. On l’a décrite comme « fantasque, distraite ; elle est aussi vive, aimant une conversation animée où elle a tendance à se mêler de tout »¹.  Son accoutrement est original, ses tenues de fantaisie. On ne peut pas dire que sa beauté frappe, mais sa vivacité retient et elle ne manque pas de charme… une artiste pour tout dire !

Le mariage arrangé

Ce tissu de relations que la talentueuse a su nouer l’a fait approcher par la très riche famille André et on lui propose de se marier avec Édouard pour prendre soin de lui. Car il n’avait pas la meilleure santé cet homme : accès de goute, attaques diverses et variées et un penchant certain pour les petites femmes de Paris qui faisaient craindre à sa famille que sa fortune et sa collection d’art déjà immense ne tombent dans les mains d’une aventurière. On veut sauver le soldat André ! Le contrat est blindé, de la fortune d’Édouard, elle n’héritera point mais elle obtient une dot et la possibilité de garder les cadeaux qui lui auraient été faits après le mariage. En échange, elle rejoint une des familles les plus riches du pays et voit désormais toutes les portes s’ouvrir devant elle. Ce genre d’opportunité ne se refuse pas. Quelle ne sera pas la surprise de tous lorsqu’à la mort d’Édouard, après 13 ans de mariage, d’apprendre qu’il a modifié ses dernières volontés et décidé de léguer tous ses biens à sa femme ! Le procès qui s’en suit sera retentissant, mais l’héritage de Nélie est confirmé.

Comment expliquer ce changement « d’humeur » d’Édouard ? Peut-être tout simplement par l’amour, ou en tout cas le respect qu’il lui avait toujours témoigné, pour preuve ce magnifique atelier (ma pièce favorite) qu’il avait fait aménager pour elle au premier étage de l’hôtel particulier et que finalement elle n’utilisera jamais, car elle abandonnera la peinture pour se consacrer à la vie mondaine et à leur passion commune : collectionner.

Une acheteuse compulsive

En épousant Édouard, elle investit son hôtel particulier et son compte en banque : son envie d’acheter est irrésistible et l’Italie lui inspirera un amour immodéré (les primitifs italiens en particulier) et peut-être un peu « prédateur ». Après la mort d’Édouard, avide de découvertes et pressée de faire de nouveaux achats, elle entreprendra encore des voyages, toujours plus lointains. Elle envisage même d’aller jusqu’au Pôle Nord ! Apprenant que l’Abbaye de Chaalis est à vendre, elle acquiert le domaine en 1902 et en fait son incroyable musée personnel, peuplé d’œuvre d’arts et de superbes meubles. Elle y installera l’électricité, le téléphone (le premier dans l’Oise). Décédée en 1912, son corps y est déposé, selon ses dernières volontés, dans la splendide chapelle du domaine. À sa mort, elle lègue l’ensemble de ses biens, œuvres et propriétés à la Fondation de France. Cela permet la création à Paris du Musée Jacquemart-André et dans l’Oise du Musée de l’Abbaye de Chaalis.

Nélie Jacquemart est un personnage fascinant de la fin du XIXe siècle. Cette femme intrigante dans tous les sens du terme, mise au ban de la société avec l’accusation de captation d’héritage, a su rebondir. Déterminée, opiniâtre, elle aura donné tout au long de sa vie l’exemple d’une force inébranlable et, si l’on considère, comme moi, que l’art est un domaine d’utilité publique, son œuvre de mécène nous permet aujourd’hui de visiter de véritables joyaux muséaux. Retournez-vite chez les Jacquemart-André car « on se retrouve dans un intérieur où celui-ci collabore avec la vie, on entre dans un décor réel d’où résulte une impression profonde qu’on chercherait en vain au Louvre même »¹.  

Anne-Marie Chust

¹Extrait d’« Une passion amoureuse pour l’art – Nélie Jacquemart et Édouard André » de Jean-Pierre Babelon (Éditions Scala).
Musée Jacquemart-André. Nouvelle exposition à partir du 9 septembre jusqu’au 24 janvier 2022 « Botticelli : Artiste et Designer »
Abbaye Royale de Chaalis

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