Son documentaire, M, a remporté le prix du jury de la London Film Week en décembre dernier. Mid&Plus a rencontré la réalisatrice française Yolande Zauberman.
Viol enfantin
Le sujet du film est sensible, mais Yolande Zauberman n’en est pas à son premier tour de force : après l’apartheid en Afrique du Sud (Classified people, 1988) ou l’amour entre Juifs et Arabes en Israël (Would you have sex with an Arab ? 2011), son nouveau documentaire en yiddish, M, aborde le viol enfantin dont sont victimes les jeunes garçons de l’école Talmud de Bnei Brak. Située en banlieue nord-est de Tel Aviv, c’est la capitale mondiale des juifs ultra-orthodoxes.
« On ne connaît pas toute la vérité sur le viol enfantin. C’est banal, mais terrible. Ça existe depuis la nuit des temps, dans toutes les communautés. Quand on a un accident, qu’on est attaqué ou volé, on en parle, mais on ne parle pas du viol. Dans le film, les violés en parlent car ils ont peur de violer à leur tour. C’est l’obsession du cercle vicieux, c’est l’obsession de ne pas devenir violeur à son tour. C’est un film sur la solution, pas sur le problème. »
« Ils ont sur le visage la jeunesse qu’ils n’ont pas eue… »
Dans le documentaire, la voix off de Yolande Zauberman scande les plans-séquences des victimes à l’âge adulte, sans jugement. « J’ai fait un film à l’intérieur de cette communauté, pas sur cette communauté. » Yolande Zauberman aime tourner la nuit, car « il y a moins de monde et moins de bruit et c’est le bon moment pour parler », explique-t-elle. Dans ce monde d’hommes, elle avoue avoir eu peur le premier jour de tournage seulement, mais sa maîtrise du yiddish, « la langue des morts », lui a permis d’être acceptée partout. Consciente de sa prise de risque, elle ne craint pas les réactions éventuelles de la communauté religieuse.
Sa caméra suit en gros plan Menahem Lang, de retour dans sa ville natale, dix ans après son départ. Il a fui sa communauté et a quitté la religion. Il a été violé très jeune pendant plusieurs années par des rabbins.
« Menahem était mon guide dans la ville. Tous les jours, on inventait le chemin pour aller à la rencontre des gens. Puis très vite, je lui ai dit de faire ce qu’il voulait. Les rencontres tissent le présent du film : celle d’un violeur, dans le port de Jaffa -ville arabe-, puis celle d’un violé dans le cimetière. C’était un rêve : le film est devenu un lieu de parole, il y a de l’honnêteté tout le temps dans les rencontres… »
Yolande Zauberman a fait de Menahem Lang, qui ose parler, questionner, qui résiste, qui continue à vivre et pour qui le pardon est une façon de survivre, un héros ordinaire. Après avoir fait l’ouverture de la 41e édition du Cinéma du réel à Paris, M est sorti en France le 20 mars.
Marie-Blanche Camps
Mid&British
Le festival London Film Week se déroule chaque année au Regent Street Cinema, là-même où eut lieu en 1896 la première projection publique de film au Royaume-Uni, le Cinématographe des frères Lumière.