« Vagabondes, Voleuses, Vicieuses », qui sont-elles ces « mauvaises filles », adolescentes sous contrôle, Rose, Lucie, Adèle et les autres, condamnées par la justice des années 50 à Paris pour ne pas avoir respecté la morale de l’après-guerre, des normes qui pèsent encore sur les mœurs d’aujourd’hui.
Le monde de l’enfance inadaptée
Véronique Blanchard, éducatrice et historienne, a travaillé avec des jeunes filles placées en foyer ou en milieu ouvert et s’est rendue compte que l’attention portée aux filles était très différente de celle portée aux garçons. C’est en consultant les archives de la justice qu’elle a trouvé des réponses. Une fois repérées pour leur « déviances », les mineures se retrouvaient dans des institutions spécialisées, révèlent les documents du tribunal pour enfants de la Seine. À côté de la jeune fille docile, vierge, sage, modèle de la société d’alors, se trouvaient les mauvaises filles qui seront reprises en main. Cette classe populaire importante n’a pas d’autres moyens que de réagir en faisant appel à la justice pour résoudre ses problèmes familiaux.
La délinquance juvénile, c’est quoi en 1950 ?
Désobéissance, fugue, prostitution, vol, la liste des délits est longue, même si elles n’ont pas commis de délits au sens réel du mot. À côté des voleuses qui ont enfreint la loi, se trouvent celles poursuivies pour leur comportement, les « déviantes », qui seront jugées au civil pour les protéger et les protéger d’elles-mêmes. Elles doivent s’émanciper pour vivre selon leurs envies car la société ne leur donne aucun droit, pas de sorties au café, pas de flirt et rester vierge jusqu’au mariage. Peu d’entre elles se prostituent, la prostitution n’est pas un délit au contraire du racolage. La société est contrainte et contraint les filles dans leur corps et leur sexualité.
Plutôt éduquer que réprimer
La justice même bienveillante s’inquiète parce ce qu’elle ne sait pas trop quoi faire avec les filles (ce sont souvent des hommes qui jugent) et ne trouve pas d’autres solutions pour les protéger que de les enfermer ! Paris est une ville de tentations et certaines traversent la France pour venir à la capitale s’encanailler. Mais une fois devant la justice, elles ne se laissent pas intimider et prennent la parole d’une manière très libre. À l’image d’une Albertine Sarrazin qui écrivait dans son journal : « Le tout était si simple que je restai éblouie : le macadam était chaud et vivant sous mes pieds, et les pieds couraient, couraient. L’idée fixe : fuir, fuir, fuir, ne laisser à personne le temps de me reprendre. » Peut-être pas écoutées ou entendues, leur parole était forte, teintée de colère ou d’humour.
Étaient-elles des féministes avant l’heure ? Celles qui témoignent aujourd’hui se souviennent surtout du coup de massue qui leur est tombé dessus quand la loi s’est imposée à elle. Elles ont, c’est indéniable, ouvert le chemin aux militantes des années 70 qui voulaient leur liberté de paroles et d’actes et 68 leur a donné l’opportunité d’y parvenir !
Vicky Sommet
Vagabondes, Voleuses, Vicieuses de Véronique Blanchard aux éditions François Bourin (septembre 2019)