Chacune son mai 1968

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Mai 68, les Mids, parisiennes, provinciales où à l’étranger, n’ont pas toutes eu la même perception de ce printemps révolutionnaire. Loin des pavés, des amphis, des AG… petit exercice nuancé de « Je me souviens« .

Fais pas çi, fais pas ça
par Christine Fleurot
68, l’année de mes onze ans, de ma mononucléose et de ma cheville cassée, l’année des maths modernes enseignées en sixième par un prof barbu, premier homme à franchir le porche de mon collège privé nantais de jeunes filles aux jupes sages. Je me souviens des lycéens et étudiants scandant sous les fenêtres de notre directrice : « Aurélie au balcon, Aurélie avec moa » et la surveillante cavalant dans les couloirs pour fermer toute issue. Je me souviens de mon père arborant son brassard Croix Rouge pour assurer le soir après son travail une assistance aux blessés des émeutes. Je me souviens qu’on écoutait dans notre cuisine en formica gris les infos à la radio entre deux titres du hit-parade : Fais pas çi, fais pas ça de Jacques Dutronc ou Comment te dire adieu de Françoise Hardy… Un peu jeune pour posséder déjà une conscience politique structurée !

Phrases révolutionnaires et obscènes
par Marie-Hélène Cossé
Arrivant à l’école un beau matin de mai, nous découvrons que tout le bâtiment a été taggé pendant la nuit de « phrases révolutionnaires et obscènes » disent les sœurs qui vont tant bien que mal toute la matinée faire poser des grands volets pour les cacher à notre regard. Pas de smartphones à l’époque pour les photographier subrepticement ! Une poignée de filles de ma classe et moi-même (j’ai bientôt 10 ans) décidons assez vite, et trop contentes, de suivre le mouvement et de nous mettre en grève (d’école). Dans l’après-midi, une délégation d’élèves de 4ème arrive dans notre classe (des grandes en blouse blanche). L’une d’entre elles prend la parole et nous enjoint de ne pas faire grève. C’est sans appel. Celle qui a parlé n’est autre que… ma sœur aînée ! La suite de notre vie familiale ressemblera bien souvent à ça… la révolutionnaire et la contre-révolutionnaire !

Soupir de soulagement
par Vicky Sommet
C’est le souvenir d’une période de ma vie à la fois exaltante et inconfortable. Exaltante parce qu’étudiante à l’École d’Interprétariat de l’Université de Genève, je suivais heure par heure les informations sur les événements. C’est à la radio que nous écoutions les nouvelles. Le professeur de droit avait autorisé les Français à apporter leur transistor dans l’amphithéâtre et nous pouvions ainsi, tout en suivant son cours, avec notre appareil collé à l’oreille, suivre de loin l’ébullition qui agitait notre pays. Mais inconfortable aussi car les banques françaises ne pouvant exporter de l’argent, nous ne pouvions plus recevoir les sommes envoyées chaque mois par nos parents pour payer la location de notre chambre à la résidence universitaire ni avoir notre argent de poche pour manger. Et ce n’est que lors du défilé de la majorité silencieuse sur les Champs-Elysées qui a plébiscité le Général de Gaulle que nous avons poussé un soupir de soulagement.

Puis les cours ont repris
par Anne-Marie Chust
L’année de mes treize ans dans une banlieue ouest peu ouverte aux mouvements avant-gardistes et révolutionnaires : l’école a été fermée plusieurs semaines et j’avoue que cela ne m’a pas vraiment chagrinée même si la France semblait être en suspens, des magasins peu achalandés, plus de transports en commun et quelques camions de l’armée près de l’hôtel de ville pour transporter des gens qui n’étaient pas en grève. Puis les cours ont repris. Nous nous sommes retrouvés à plusieurs classes avec nos professeurs principaux pour avoir un débat sur une autre façon d’appréhender l’école d’où il est ressorti que nous serions désormais notés avec des lettres et que nous ne porterions plus la blouse. Les notes sont revenues et les blouses pourraient réapparaître… mais était-ce si important ? Malgré le vent de liberté nécessaire qui a soufflé, l’école de la République n’est pourtant malheureusement plus tout à fait ce qu’elle était pour ses enfants.

Nous prendrons le temps de vivre
par Anne-Claire Gagnon
En mai 68, les 12, 19 puis 29 j’étais hospitalisée dans des hôpitaux qui, par miracle, n’étaient pas en grève. Le plus drôle – et je viens de consulter mon dossier médical de l’époque, dans un souci de précision journalistique – c’est que j’ai vraiment fait une forme de résonance avec cet événement, avec deux épisodes de coma et un ultime soubresaut le 29 mai – au moment-même où le Général de Gaulle regagnait Colombey ! Me restent de cette époque les albums de Reggiani, comme celui de Moustaki sorti en 1969, dont je sais chaque chanson par cœur, avec celle-ci qui résume si bien mai 68, Nous prendrons le temps de vivre. On ne vit qu’une fois et …c’est maintenant !

♥À LIRE
Une BD : Filles des Oiseaux T2 de Florence Cestac (Dargaud, 60 p, €13,99).
Un doc : Filles de Mai. 68 mon Mai à moi. Mémoires de femmes (collectif, Le Bord de l’eau, « Documents », 180 p., €15).
♥À VOIR
Images en lutte -Palais des Beaux-Arts,13 quai Malaquais, 75006 Paris, jusqu’au 20 mai 2018.

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