Le ressentiment désigne une rancune ou une hostilité. Ce sentiment est-il plus présent aujourd’hui qu’hier et s’explique-t-il par la situation actuelle qui oscille entre l’alternance de privations suivie de semi-libertés ? Avons-nous besoin de trouver le responsable de nos frustrations et lui faire porter le chapeau, bref d’éprouver du ressentiment ? Comment s’en libérer ?
Les « ruminants »
Il y a ceux qui envient autrui, ceux qui voient toujours la chance réservée aux autres, ceux dont la vie représente une offense personnelle et ceux qui, à force de regarder ailleurs, en oublient leurs propres capacités à faire aussi bien. À l’origine du ressentiment chez l’individu, comme dans le groupe social, on trouve toujours une blessure, une violence subie ou un traumatisme. Celui qui se dit victime n’arrive pas réagir, par impuissance, et il rumine sa douleur, peut-être même une vengeance qu’il ne mettra pas à exécution mais cette intention le taraudera en permanence. Jusqu’à finir par exploser. Et dans l’attente de cette réaction violente, on assiste à une revalorisation de l’ego face à une disqualification des valeurs de l’oppresseur, comme un pansement pour l’esprit.
Les signes extérieurs
Revivre la blessure, encore et toujours, est une attitude souvent plus forte que l’oubli ou le pardon. Le passé nous rattrape et il devient un présent plus présent que le présent lui-même. Les causes sont variées et vont des incidents humiliants en public aux moqueries de l’entourage, en passant par la non-reconnaissance d’un travail ou d’un effort donné. Contrairement à n’importe quelle autre émotion, le ressentiment ne se voit ni dans les expressions du visage, si ce n’est le froncement des sourcils, ni dans l’agitation inhabituelle de la personne. Mais il peut se cacher dans les cauchemars, les critiques virulentes faites à haute voix ou les colères sans fondement.
Les combats intérieurs
Le ressentiment est beaucoup plus fort lorsqu’il concerne un individu proche ou un intime. Une blessure, émotionnelle ou physique, infligée par un ami proche ou l’être aimé, peut créer un sentiment de trahison. Le ressentiment peut alors avoir des conséquences négatives et la personne devenir susceptible, nerveuse, avec des colères rentrées quand elle rencontre celui qui lui a fait mal. En évitant que la colère ne se transforme en haine, surtout si l’ennemi est aimé, admiré et loué pour ses qualités. Cette transformation incite à devenir cynique ou sarcastique et à nuire à d’autres relations sociales tout comme à subir une perte de confiance en soi.
En philosophie, Nietzsche relie le ressentiment à une « Morale d’esclave », constituée par des interdits d’agir et qui crée de ce fait un sentiment d’impuissance et une impossibilité de s’extérioriser. La force de l’être consistera alors à surmonter cet état avant qu’il ne transforme ses frustrations à son avantage, en trouvant des justifications à son inertie « ils sont méchants, donc nous sommes bons ». Le ressentiment ne peut réparer ni injustice ni inégalités, il vaut donc mieux le combattre plutôt que de le nourrir et d’encourager sa présence en soi !
Vicky Sommet
« Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment » essai de la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury vient de sortir aux éditions Gallimard.