« La jeune génération n’écoute pas ce que vous dites, ni ce que vous faites, elle écoute ce que vous êtes. » nous dit Thomas d’Ansembourg. Comment parvenir à ce subtil échange parents/enfants de la transmission dans l’inspiration, et notamment celui des mères, « inspireuses » de leurs filles. Brigitte et sa fille Gwenaëlle, toutes deux pilotes de ligne, ont accepté de se prêter au jeu de nos questions.
BRIGITTE :
♦ Quelles valeurs avez-vous souhaité transmettre à votre fille et comment ?
Je n’ai rien fait de particulier sauf d’être moi même. Pas d’emprise forte, je vivais auprès de mes deux enfants ma vie de maman passionnée et enthousiaste en leur laissant le choix d’être à leur tour des adultes libres et responsables, avec la liberté de rêver leur vie et de répondre très tôt à la question : quel être je veux être demain ? Mon parcours leur a peut-être donné envie. Quand on arrive à fusionner passion et métier, les contraintes s’estompent souvent pour laisser place à une grande joie. Quant au pilotage de nos vies d’hommes ou de femmes, notre grand défi sera d’arriver à concilier subtilement une vie professionnelle ambitieuse avec une vie personnelle et/ou familiale harmonieuse. Dans mes différents rôles de femme/pilote-mère-épouse, j’ai juste essayé d’être inspirante.
« Nous ne sommes pas nés pour apprendre à faire, mais pour apprendre à être. » Thomas d’Ansembourg
♦ Quels sont dans les écueils que vous avez rencontrés et ceux que vous avez souhaité éviter à votre fille ?
Notre génération s’est battue pour avoir sa place dans les cockpits. Il faut bannir le mot impossible pour créer d’autres possibles. Mon leitmotiv était simple : « OSE ! Quand une porte se ferme: pas grave ! Persévère et rentre par la fenêtre. » De plus, dans mon environnement social et familial, je ressentais, aux yeux des autres, une certaine culpabilité de vouloir concilier ce métier de pilote de ligne (genré masculin) avec mes profondes aspirations féminines. À passion et motivation égales, la nouvelle génération hiérarchise mieux ses choix. Notre parcours de pionnières leur a certainement apporté une légitimité et les a déculpabilisées. Depuis plus de 50 ans, le métier de pilote de ligne se conjugue parfaitement au féminin. Elles ont les clefs en mains pour poursuivre cette mutation sociale tout en douceur.
« Le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour de la Terre, mais celui qui a su faire une fois le tour de lui-même. » Confucius
♦ Que souhaitez-vous transmettre à vos petits-enfants ? Le message sera-t-il différent ?
Avant tout, je m’efforce de ne pas être trop sérieuse (rires ) et d’exciter en eux la joie d’ÊTRE ! La maman que j’étais réalise aujourd’hui auprès de ses petits enfants ce que j’aurais aimé mieux faire avec mes enfants, trop bousculée que j’étais par mes journées à la vitesse du son. Comme la plupart des mamans qui travaillent, je n’arrivais pas à m’ancrer suffisamment dans l’instant présent à cause d’une pression temporelle forte : « Vite ! Vite ! Vite ! Dépêchez-vous ! » La famille a bouleversé ses codes. À nous grands parents de nous réinventer pour trouver au milieu d’eux une place qui ait du sens. Je me réjouis désormais d’être ce coeur disponible et complice, cette oreille tendre et attentive, sans tabou ni censure, pour leur dire (comme Denise Grey dans La Boum) que la vérité n’est pas unique, mais multiple, que la liberté ouvre le droit à l’erreur, etc. À notre tour, nous devons ÊTRE « des passeurs de lumière ».
GWENAËLLE :
♦ Qu’avez-vous retenu du message de votre mère sur ses valeurs ? Sous quelle forme vous l’a-t-elle transmis ?
Ma mère m’a transmis deux valeurs essentielles, aussi importantes l’une que l’autre : la liberté et la responsabilité.Très tôt, dans des circonstances autant sérieuses qu’anodines, j’ai compris à ses côtés qu’il était important de choisir un métier dans lequel on éprouve un grand épanouissement personnel. J’ai toujours vu ma mère partir en vol avec enthousiasme et je suis certaine qu’enfant, notre équilibre familial en a grandement bénéficié. Elle m’a aussi appris qu’il était important de trouver une véritable harmonie entre vie professionnelle et vie personnelle et, sans doute inconsciemment, j’ai intégré en moi cette double exigence. Pour moi, voir grandir mes enfants, les accompagner dans leurs choix et leurs apprentissages a autant d’importance que d’avoir une activité professionnelle qui me permette de m’épanouir.
♦ Quelles valeurs pensez-vous ont changé à votre génération? Que pensez-vous et voyez-vous différemment ?
Dans le monde de l’aérien, ma mère a été une des pionnières et a fait partie d’une génération de femmes qui avait tout à conquérir. Les femmes jusque-là n’avaient pas été admises dans les cockpits des avions de ligne et, pour s’y faire accepter, elles ont dû démontrer qu’elles étaient aussi performantes que les hommes – et je serais même tentée de dire meilleures (les préjugés d’un autre temps avaient encore la vie dure). Même si les femmes restent encore très minoritaires dans les cockpits (10%), de telles attitudes ne se rencontrent plus. Elles ont gagné toute leur légitimité. Les compagnies aériennes ont compris qu’il fallait soutenir cette politique sociale pour qu’à l’avenir les femmes soient davantage représentées dans le métier de pilote de ligne.
♦ C’est votre tour de transmettre à vos enfants. Comment le faites-vous ? Quel fond et quelle forme ?
Mes deux enfants sont encore jeunes. J’essaye avant tout de leur transmettre les principes de vie, les valeurs de partage, de respect, d’empathie, d’honnêteté. Le métier de parents est le seul métier qui ne s’apprend pas à l’avance. Il faut être réaliste : il y a toujours une période où les enfants n’écoutent pas ce que vous dites. Ils veulent et doivent tracer eux mêmes leur sillon. Les couples où les deux parents travaillent adoptent désormais une répartition des rôles plus équilibrée auprès des enfants. À tour de rôle, ils choisissent toutes les opportunités pour semer quelques graines. Même à l’autre bout du monde, pendant mes rotations, je me connecte avec mes enfants lors de mes moments de repos pour continuer à être à leurs côtés, à être à leur écoute pour pouvoir répondre à leurs questions dans des moments de doute. Ainsi, jamais le fil qui nous relie ne se rompt.
Notre génération Mid&Plus poussée par le féminisme s’est battue pour avoir sa place dans le monde du travail. Les priorités de la jeune génération sont différentes, elle qui cherche plutôt à trouver le bon équilibre entre vie familiale et professionnelle : le plus important n’est pas de savoir si la vie a un sens, mais de donner du sens à sa vie.
Marie-Hélène Cossé