Niki à Lisbonne

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Souvenir d’un jour d’été au musée Collection Berardo à Lisbonne où à l’entrée trônaient deux monumentales Nanas de Niki de Saint Phalle et où les deux jeunes nanas qui m’accompagnaient ont pris la pose. Cela leur allait bien. Elles ne savaient pas grand-chose de Niki¹, mais peut-être devinaient-elles ses paroles :

« Quand devient-on rebelle ? Dans le ventre de sa mère ? À cinq ans, à dix ans ? Enfant, je ne pouvais pas m’identifier à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes ou aux amies de ma mère. Un petit groupe plutôt malheureux. Je ne voulais pas devenir, comme elles, les gardiennes du foyer. »

Rebelle Niki

Le 29 octobre 1930 naissait Niki de Saint Phalle, artiste et militante féministe. Des Mariées grinçantes aux Mères dévorantes en passant par les Nanas solaires et joyeuses, son engagement féministe forme le fil rouge de son œuvre. Mais échappe-t-on facilement aux règles de son milieu lorsqu’on est née Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle, descendante d‘une lignée de Croisés par son père, banquier français installé à New York, américaine par sa mère, issue d’une famille fortunée de planteurs du Sud ? « J’ai décidé très tôt d’être une héroïne. Qui serai-je ? George Sand ? Jeanne d’Arc ? Un Napoléon en jupons ? » Allez savoir… mais, au final, promesse tenue : elle sera rebelle ou ne sera pas !

Regarder les hommes tomber

On oublie parfois qu’elle était incroyablement belle, qu’elle a d’abord travaillé comme mannequin pour Vogue, Life, Elle et j’en passe. En 1953, elle est victime d’une très grave dépression nerveuse et est soignée en hôpital psychiatrique. Les électrochocs qu’elle y reçoit altèrent sa mémoire. Car pendant longtemps, elle cache un lourd secret, le viol par son père à l’âge de onze ans, qu’elle révèlera en 1994, à 64 ans, dans son livre  « Mon secret ». « J’ai commencé à peindre chez les fous…  J’y ai découvert l’univers sombre de la folie et sa guérison, j’y ai appris à traduire en peinture mes sentiments, les peurs, la violence, l’espoir et la joie » selon ses propres mots. De fait, son entrée dans le monde de l’art, au printemps 1961, est fracassante. Une photographie qui fera le tour du monde la représente, épaulant un 22 Long Rifle pour mettre en joue son œuvre ou le spectateur.

« La peinture était la victime. Qui était la peinture ? Papa ? Tous les hommes ? »

Le chemin des dames

Le succès est considérable. Au bout de deux ans, pourtant, Niki renonce à ce procédé, constatant qu’elle « devient dépendante de ce rituel macabre, même s’il était joyeux » qui la met dans « une sorte de transe extatique ». Puis elle ajoute : « De la provocation, je passai à un monde plus intérieur, plus féminin. Je me mis à sculpter des mariées, des accouchements, des putains, ces rôles variés que les femmes ont dans la société. Une nouvelle aventure commençait. » « Dans le champ de l’art les hommes ont maintenant tout épuisé » et que c’est aux « femmes de réaliser quelque chose de nouveau »². En l’occurrence, le « nouveau » dans l’œuvre de Niki de Saint Phalle, c’est ce « Chemin des dames »³, la grande farandole de personnages et, bien sûr, l’exubérance décomplexée des Nanas, une nouvelle mythologie féminine.

L’ère des Nanas

En 1964, elle annonce qu’elle vient de faire une énorme statue, une femme très bizarre, quinze fois plus grosse et grande qu’elle, debout sur des talons, avec de très belles couleurs resplendissantes. Bienvenue aux Nanas, créatures joyeuses et fantasques, opulentes et légères cependant, toujours en équilibre, suspendues, soulevées du sol, elles dansent sans fin, dans une célébration de la vie solaire et décomplexée. La plus extraordinaire d’entre elles naît en 1966, à Stockholm4 : une gigantesque femme-cathédrale, couchée sur le dos, dans laquelle les visiteurs entrent par le sexe pour trouver dans ses entrailles quantité d’activités ludiques… Débordantes de joie de vivre, « plus grandes que les hommes pour pouvoir leur tenir tête », les Nanas se répandent sur la planète et rapidement, apparaissent les Nanas noires qui doublent le thème féministe d’un message contre la ségrégation raciale5.  Elles feront le tour du monde !

Et ce jour-là, au musée Collection Berardo de Lisbonne, j’ai su que les (mes) nanas avaient gagné. Si elles le voulaient !

Anne-Marie Chust

¹Niki de Saint-Phalle, plasticienne, artiste peintre, graveuse, sculptrice, réalisatrice, 1930-2002.
²Catherine Francblin interview.
³Pour reprendre l’expression de l’historienne Laurence Bertrand Dorléac.
4Dans le hall du Moderna Musee à Stockholm (à la demande de Pontus Hulten, son directeur).
5Connaissance des Arts – Valérie Bougault.

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