Elles nous donnent des ailes

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Qui sont ces femmes qui nous ont inspirées en 2022 dans les très riches domaines de la peinture, la mode, le cinéma, l’écriture ? Celles qui, dans une société en pleine métamorphose, témoignent d’un regard libre et décomplexé, chacune dans leur domaine ? Camille, Vivienne, Isabelle, Marjane : qui êtes-vous ?

♦ Camille Morineau
par Vicky Sommet

L’invisibilisation des femmes dans le monde de l’art est enfin prise au sérieux. En France, Camille Morineau tire la sonnette d’alarme. Elle a fouillé les collections du Centre Pompidou pour retrouver et exposer quelques 300 artistes et un millier d’œuvres qui dormaient dans les réserves. Elle a poursuivi avec l’exposition au Grand Palais de Niki de Saint Phalle ou celle de Kiki Smith à la Monnaie de Paris. Aujourd’hui directrice d’AWARE¹, elle veut rendre visible Tamara de Lempicka qui vendait plus que Picasso mais que les historiens ont oubliée. Des « gender studies » dans les années 60 à MeToo aujourd’hui, le plafond de verre est en train de se fissurer ! Cinéastes, chorégraphes, compositrices, cheffes d’orchestre, faut-il instaurer des quotas pour qu’on parle d’elles. « Désormais, les décideurs n’ont plus d’excuses… S’ils ne programment pas d’artistes femmes, c’est une erreur, une faute professionnelle. »

AWARE – Archives of Women Artists, Research and Exhibitions

♦ Vivienne Westwood (1941-2022)
par Marie-Blanche Camps

Crazy Vivienne, la marraine de la mode punk, a pendant toute sa carrière provoqué, choqué, milité et lutté contre l’ordre établi. En 1971 avec Malcolm McLaren, manager du groupe des Sex Pistols, elle ouvre un magasin au 430 King’s Road à Chelsea et vend ses premières créations au design androgyne déjà si excentrique : au fronton du World’s End Shop, les aiguilles d’une grande horloge au cadran de treize heures tournent à l’envers, inexorablement et à toute vitesse. Son tee-shirt God Save the Queen reproduit le portrait d’Elisabeth II, la même qui la décorera en tant qu’officier de l’Empire Britannique en 1992. Vivienne Westwood a toujours osé briser les codes. Végétarienne, elle a fait des colliers avec des os de poulet, elle a même créé en 1994 son propre tartan MacAndreas, que le fabricant écossais Lochcarron a accepté de produire (alors qu’une telle procédure prend généralement 200 ans…). Elle a habillé les célébrités : on se souvient de la robe de mariée (blanche) de Sarah Jessica Parker dans Sex and the City ou celle (violette) de Dita von Teese et du string en fausse fourrure qu’a porté Carla Bruni lors de la Fashion Week de 1994. Elle qui était inspirée par l’histoire de France, avec ses costumes et ses corsets, a inspiré de nombreux couturiers comme Castelbajac ou Jean-Paul Gautier. Durant ses soixante années d’activité (elle a travaillé jusqu’à la fin), l’activiste qu’elle était viscéralement n’a pas cessé d’utiliser son art pour militer contre le changement climatique et pour le désarmement nucléaire.

Vivienne Westwood, la styliste iconique britannique est morte le 29 décembre, le même jour que la légende brésilienne du football. Ils avaient presque le même âge. Je la croisais souvent à Clapham, le quartier où elle vivait à Londres, sur son vélo au panier fleuri -on la remarquait tout de suite à cause de ses cheveux teint en orange flamboyant-. J’ai même eu la surprise de la voir un jour sur un tapis devant moi, dans une salle paroissiale de l’église Holy Trinity, pendant un cours de yoga. Rest in peace, Vivienne !

©Wikipedia

♦ Isabelle Huppert, une femme libre
par Anne-Marie Chust

D’une adolescente émancipée (le mot est faible) dans les années 1970 dans le film Les Valseuses à ses films plus récents comme Elle (où sa main ne tremble pas face à son agresseur), elle traverse ma vie avec une filmographie d’exception qu’elle s’attache à développer patiemment, au gré des opportunités et des envies. Elle est demandée partout, des plus « grands » aux plus jeunes pour qui elle n’hésite pas à se mettre en « danger » en tournant premiers et deuxièmes films. L’humour n’est jamais très loin non plus, souvenez-vous de la série Dix pour cent où elle plongeait avec délices dans l’autodérision, enchaînant pièces de théâtre et tournages simultanés avec gourmandise et avidité.  « Moins occupée à travailler sa légende que ses personnages successifs, ignorée par les paparazzi, Isabelle, la rousse, se contente d’être comédienne » dit d’elle Jérôme Garcin. L’une de nos rares actrices à avoir une reconnaissance internationale et des prix à foison.

« La plus audacieuse, la plus obstinée, la moins prévisible, sa voix est pénétrante, elle ne déclame point, elle parle. » Jérôme Garcin

L’actrice parle de nous, les femmes de cette fin de 20e siècle et début du 21e, qui n’ont peur de rien et besoin de personne. Excellant toujours davantage dans des rôles intenses où règne une sexualité parfois torturée, Huppert réussit à ne jamais verser dans le scabreux, elle reste d’une classe incroyable et, pourtant, elle est incroyablement perturbante. Elle traverse les années comme si de rien n’était (elle a dû signer un pacte avec le diable ou a fait fabriquer un portrait qui vieillit à sa place). C’est une star mystérieuse dont on sait tout et rien mais cela nous suffit. Elle nous dit : « J’ai toujours été attirée par des personnages de femmes qui sont au centre […], des femmes qui se révoltent, qui se libèrent, féministes », ajoute-t-elle. Et de conclure : « Je dirais que j’ai toujours été féministe sans le savoir ». Nous nous le savions déjà : une femme puissante et libre, jamais victime.

♦ Marjane Satrapi
par Michèle Robach

Perse, expatriée en France, Marjane Satrapi fait partie de cette génération d’artistes qui soutient les soulèvements de la population en Iran, portés par une jeunesse qui n’a plus peur de rien. Selon elle, la génération Z en Iran mène la première révolution féministe au monde,  soutenue par des hommes. Connue pour son film d’animation « Persépolis »¹, portrait de trois générations de femmes, qui raconte aussi l’histoire du pays entre révoltes et oppression, Marjane Satrapi est également  réalisatrice et peintre. Ses portraits de femmes aux lèvres carmin et aux regards francs sont féroces. Ce sont ces jeunes filles combattives qui bravent la police des mœurs à Téhéran, ces militantes courageuses, qui arrachent leur voile et dénoncent la ségrégation sexuelle systémique imposée par le pouvoir islamiste.

¹César 2008 (meilleur premier film et meilleure adaptation), Prix du Jury au Festival de Cannes 2007.

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