Autant de livres que de regards, parfait reflet de l’esprit curieux et éclectique de notre équipe… Six suggestions de titres à lire (ou relire) ce printemps, toujours au chaud du… couvre-feu. Bonne lecture !
♦ L’amour aux temps du Choléra de Gabriel García Márquez (Poche, existe en version numérique, 1985)
par Vicky Sommet
Un triangle amoureux, à la fin du 19ème siècle, ou plutôt des sentiments durables et intransigeants, qui défient la raison pendant une vie toute entière pour celui qui est délaissé. L’auteur parle de passion mais aussi de trahison, avec un langage baroque, et décrit ce qui entoure ses héros, les fleurs, les arbres et les oiseaux, les saisons des Caraïbes et les maisons qui abritent ces amours, avec une poésie très sensuelle « … Il ne comprenait pas pourquoi personne n’était comme lui bouleversé par le chant des castagnettes de ses talons, ni pourquoi les cœurs ne battaient pas la chamade aux soupirs de ses volants, ni pourquoi personne ne devenait fou d’amour sous la caresse de ses cheveux, l’envol de ses mains, l’or de son rire ».
♦ Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon (Buchet Chastel – 2020 – 176p.- €15)
par Christine Fleurot
Bel exercice littéraire que celui de raconter une saga familiale balayant un siècle (1908-2008) en 176 pages et sans une once de dialogue. Ajoutez à cela une chronologie bousculée des faits, des changements de point de vue traduisant une vraie tension et vous obtenez un récit impliquant une certaine exigence de lecture. « Travailleuse du verbe », comme elle se définit, Marie-Hélène Lafon, de son Cantal natal au Lot en passant par Paris brosse en douze tableaux comment un homme né de « père inconnu et mère à double-fond » peut construire sa vie malgré l’absence et un secret familial. Une histoire simple magnifiée par une langue précise et poétique. Savoureux !
♦ Le dernier enfant de Philippe Besson (Julliard – 2021 – €19)
par Marie-Blanche Camps
Arrêt sur image : c’est le dernier jour à trois dans la maison familiale… Théo quitte la maison et Marianne, sa mère, profite des dernières heures, si courtes, de présence de son petit dernier : « … tous ces matins, qu’il pleuve ou qu’il vente, elle était présente et c’est fini, ça s’arrête ici, ça s’arrête maintenant. » Marianne a déjà vécu le départ de ses deux aînés, mais l’angoisse n’était pas là. Théo déménage aujourd’hui, à quelques kilomètres seulement de la maison, la douleur n’en est plus qu’ immense. Patrick le père, taiseux, n’en souffre pas moins, elle le sait bien. Toute la journée, Marianne couvera des yeux son petit, minutieusement, intensément, pour mieux emmagasiner ces derniers souvenirs de mère. Celles qui vivent ou ont vécu le syndrome du nid vide s’y retrouveront….
♦ Sortie parc, gare d’Ueno de Yu Miri (Actes Sud, novembre 2015)
par Michèle Robach
Derrière son image de pays efficace, le Japon est souterrainement non exempt de dysfonctionnement. Les SDF en sont un exemple. Dans le très émouvant roman « Sortie parc, gare d’Ueno » Yu Miri nous raconte la vie de l’un d’entre eux et nous montre à quel point la catastrophe de Fukushima en mars 2011 a eu un impact inattendu sur la création artistique. Elle nous raconte l’histoire d’un vieillard qui, dans sa cabane de bâches et de planches, convoque son passé d’avant la disparition brutale de son fils et de sa femme et se souvient de la première vague qui déferle sur son village de Fukushima. Mais il écoute aussi les chants d’oiseaux, les discussions légères des promeneurs. Le roman est à la fois triste, mélancolique et poétique.
♦ L’homme qui tremble de Lionel Duroy (Mialet Barrault, janvier 2021)
par Marie-Hélène Cossé
Lionel Duroy, quatrième d’une fratrie de dix enfants qui en a compté onze, reprend inlassablement l’histoire déchirante de sa famille : Toto son père, sa mère qu’il ne nomme pas, le départ de Neuilly, la vie à la Côte Noire, son couple avec Agnès, puis Esther, enfin Sarah et par-dessus tout l’écriture de chacun de ses ouvrages, comme si sa vie en dépendait. Et pourtant chacun de ses livres qui se succède ne raconte pas tout à fait la même chose que le précédent. Des secrets qu’il n’avait pas pu exprimer auparavant sont dévoilés. Il est cet homme qui tremble devant les femmes pour avoir d’abord tremblé devant sa mère, cet homme qui cherche infatigablement à démêler les fils de sa vie et ainsi un peu ceux de la nôtre.
« Les livres sont des abris éphémères, comme nos rêves. À certains moments, ils nous sauvent de l’inanité de la vie, ou de sa cruauté, comme n’importe quelle oeuvre artistique en a le pouvoir. »
♦ Belle Greene d’Alexandra Lapierre (Editions Flammarion, février 2021)
par Anne-Marie Chust
Le rêve d’Alexandra Lapierre : « raconter l’histoire de gens qui ont fait des choses extraordinaires et que l’histoire a oubliés ». Dans son dernier livre, situé dans les années 1900 à New York, elle nous raconte la fascinante histoire de Belle Greene, flamboyante et insolente collectionneuse de livres anciens qui fait tourner les têtes et qui devient la directrice de la fabuleuse bibliothèque du magnat J.P. Morgan et la femme la mieux payée d’Amérique. Mais Belle cache aussi un lourd secret dans une Amérique ségrégationniste et raciste. C’est une héroïne incroyablement moderne pour qui la liberté de choisir sa vie n’a pas de prix. L’auteur nous emmène à travers une enquête de plusieurs années haletante, foisonnante et minutieuse dans le monde des bibliophiles et dans une haute société new-yorkaise financière et industrielle « avide » de profit mais aussi d’art et de beauté.