Qui êtes-vous vraiment Yoko ?

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Pendant longtemps j’ai pensé que Yoko Ono était une mystificatrice bizarre et un peu dingue, une femme détestée qui avait semé la zizanie au sein des Beatles et causé la rupture du groupe mythique dont pourtant tous les membres ont depuis démenti et même nié sa responsabilité¹. Mais qui est-elle vraiment ?

Premiers cris

Elle nait en 1933 à Tokyo, au Japon, de l’une des familles commerçantes les plus riches du Japon. Comme souvent dans ces milieux, les parents sont absents mais promeuvent une éducation très stricte prodiguée par d’autres, d’abord dans une école expérimentale réservée aux enfants descendants de familles d’aristocrates et qui place au centre de sa pédagogie éducative l’éducation musicale et artistique, on lui apprend à écouter et regarder, elle doit par exemple retranscrire en partition le chant des oiseaux ou les bruits du quotidien ! Elle se souvient des domestiques imitant le bruit et les sons très spécifiques d’une femme qui accouche… Elle n’oubliera pas et en fera une performance plus tard.

Plus dure sera la chute

Cette éducation multiculturelle très riche et cette vie extraordinairement luxueuse et privilégiée seront suivies par des années de terreur et de misère, sa famille fuira les bombardements incessants à Tokyo pour se retrouver dans une campagne à feu et à sang elle aussi, cachée dans un bunker, souffrant de dénutrition et de peur continuelle, sans oublier Hiroshima et Nagasaki. Cela vous forge un caractère, elle dira plus tard que seul le pouvoir de l’imagination l’avait sauvée… On en a vu les résultats !

Tout est art

Après la guerre, la famille émigre à New York, Yoko Ono s’intéresse alors à toutes les disciplines artistiques et s’essaie au théâtre et à la musique, s’inscrit dans une université à l’enseignement libéral, côtoie de nombreuses personnalités qui gravitent autour de l’avant-garde artistique et musicale. Plasticienne engagée dans la musique expérimentale, Yoko Ono participe activement au mouvement Fluxus, récemment apparu aux États-Unis. Cette nouvelle forme d’art moderne prône le caractère éphémère d’une œuvre, la rend vivante et participative. En parallèle, elle présente des performances et des expositions, son œuvre la plus connue, pionnière de l’art féministe et l’un de son plus grand succès sera « Cut peace »². Deux mariages aussi et un enfant, une fille, que son père enlèvera lorsque John apparaîtra dans sa vie.

Yoko et John : c’est pas du plastique !

Pas étonnant que John Lennon, un enfant de la guerre lui aussi, soit fasciné par Yoko Ono qu’il a rencontrée dans une galerie d’art contemporain à Londres, dans cette époque tellement troublée pour lui, où la Beatlemania envahit l’espace, une hystérie collective que John supporte de plus en plus mal et qui lui fait se réfugier dans les chakrams, la nourriture, l’ironie (souvenez-vous les Beatles sont plus connus que Jésus-Christ dans le monde…) et dans…Yoko ! Ce goût prononcé qu’il a pour l’art et l’écriture, qui mieux que cette artiste pionnière de l’art conceptuel, de la performance, figure transgressive mais aussi poétique, drôle et extrêmement engagée dans le questionnement sur l’art pour lui ouvrir de nouveaux horizons, assouvir son besoin de transcendance et lui faire entendre le bruit des oiseaux.

Après leur mariage, John et Yoko utilisent leur célébrité pour promouvoir la liberté (des femmes en particulier) et la paix dans le monde entre le célèbre Bed-in³ pendant leur lune de miel à Amsterdam, leur premier single, « Give peace a chance », hymne pacifiste,  avec le Plastic Ono Band, le « Bagism »4 et la création de l’une des chansons les plus connues au monde « Imagine ». Et John meurt sous les yeux de Yoko en 1980 .

Derniers cris

Durant toute sa vie, Yoko Ono a continué de travailler et à être une féministe indépendante aux valeurs fortes. Elle demeure le symbole d’une femme audacieuse et controversée prête à aller au bout de ses convictions et de ses combats.  Mais, derrière l’artiste reconnue, se cachent une épouse et une mère durement touchées par le destin. Et si les cris insupportables (selon moi) venus du tréfonds de l’enfance qu’elle poussait pendant ses performances n’étaient finalement que des cris d’épouvante ?5

Anne-Marie Chust

¹On dit que Paul McCartney et son épouse Linda avaient aussi leur propre agenda et s’étaient laissé pousser des ailes… « wings » en anglais ! Yoko n’aurait-elle pas été le bouc émissaire parfait ou « femme fatale » ? À tel point que, dans les milieux féministes, on parle « d’effet Yoko Ono ». La diabolisation d’une femme qui vise à lui faire porter la responsabilité des actions de tout un groupe, celle par qui la discorde et le malheur arrivent et qui mène les hommes à leur perte, un stéréotype qui s’inscrit profondément dans notre imaginaire et qui remonte à Lilith ou à Eve (comme vous préférez), responsables du fait que les hommes aient été chassés du Paradis.
²Elle se met en scène, face au public, assise à même le sol et portant une robe. Les spectateurs sont invités, les uns après les autres, à découper un morceau de son vêtement à l’aide de ciseaux. Elle reste ainsi jusqu’au bout du processus, impassible, au point de devoir tenir son soutien-gorge pour ne pas finir nue. Cela démontre l’image de la femme en tant qu’objet sexuel, vulnérable face aux violences sexistes et à la domination sociale de l’homme.
³John Lennon et Yoko Ono reçoivent la presse internationale dans leur chambre d’hôtel et dans leur lit pour le « Bed-in for Peace » afin de diffuser un message pacifiste.
4Le « Bagism », caché à la vue des spectateurs (dans un sac), afin de stimuler leur imagination et, en dissimulant les apparences extérieures, rendait accessible la réalité intérieure. Le couple réalise plusieurs performances de Bagism entre 1968 et 1971, le sac devenant le symbole de leur désir d’intimité et une contestation du racisme.

5Yoko Ono Screaming at Art Show

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