Une femme fatale : la Reine de Saba

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Mentionnée dans les textes sacrés¹ et bien sûr dans la tradition orale éthiopienne comme ayant régné une cinquantaine d’années sur le Royaume de Saba², la Reine de Saba se présente dans le Cantique des Cantiques aux femmes de Jérusalem : « Je suis noire mais belle… Ne prenez pas garde à mon teint basané : c’est le soleil qui m’a brûlée. » On l’évoque aussi sous le nom de la Reine du Midi.

Personnage énigmatique

Une huppe, bel oiseau messager de l’invisible³, est à l’origine de l’histoire. Elle aurait annoncé au Roi Salomon (roi d’Israël et bâtisseur du premier Temple de Jérusalem) une surprenante nouvelle : un peuple dont la reine se prosterne devant le soleil au lieu de Dieu. Notre roi Salomon, qui parlait quand même directement à Dieu, en fut très contrarié. Il décida d’envoyer un « récit » à cette reine en l’invitant à lui rendre visite. La Reine de Saba, après quelques tergiversations, arriva à Jérusalem accompagnée d’une grande suite, « avec des chameaux portant des épices, et beaucoup d’or et de pierres précieuses. Il n’y eut jamais d’aromates comme ceux que la Reine de Saba donna au roi Salomon ». Elle entendait « le mettre à l’épreuve par des énigmes ».

La souveraine aux jambes poilues

Ce roi que la Bible comble d’éloges et dont la puissance et la richesse n’auraient d’égal que la sagesse, dominait un vaste empire et possédait un merveilleux palais, de l’or à profusion, de nombreux chars et chevaux, ainsi qu’un harem composé de 700 épouses « de rang princier » et 300 concubines (!) qu’il parvenait à toutes dominer, en pleine possession de sa virilité qu’il était. Il fut quand même fasciné ! À un petit détail près… Dans des textes plus tardifs4, mais qui vont dans le même sens, on ajoute de nouveaux ingrédients. Salomon reçoit la reine dans une salle d’audience pavée de cristal. La souveraine croit qu’il s’agit d’un bassin rempli d’eau. Pour le traverser, elle retrousse sa robe. Salomon découvre alors que ses jambes sont… poilues ! « Ta beauté est celle d’une femme, mais tes poils sont plutôt ceux d’un homme », lui fait-il remarquer. Cette anecdote est censée souligner l’anormalité que représente la femme exerçant le pouvoir politique, caractéristique virile. Salomon remet à sa place cette reine qui inverse les rôles masculins et féminins.

Provocante Reine de Saba

Nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur la situation de la femme dans la Bible. L’occasion pour certains6 de questionner l’égalité homme/femme dans les textes. On a même dit que la Reine de Saba n’aurait pas été une femme, car comment supporter l’idée… D’après eux, cette fameuse visite n’était nullement une visite amicale, mais une provocation. Bien que Salomon ne se laissât pas manipuler, il donna réponse à toutes ses questions, grâce à son intelligence supérieure (!). Car on a imaginé un type de femmes nocives qui cumulent à peu près toujours les mêmes caractéristiques : elles sont étrangères et usent de leur charme pour entraîner à leur perte des hommes puissants ou respectés. Figures de l’altérité et de la débauche, ces vénéneuses se révèlent potentiellement castratrices pour les hommes qui croisent leur chemin, femmes fatales peut-être ? Plus tard, avec l’âge, cela devient plus compliqué pour Salomon qui finit par perdre ses capacités viriles et on parle encore de ses femmes étrangères responsables de la déchéance de leur époux, car n’oublions pas que la fameuse nuit des énigmes et des jambes poilues, Salomon tombera sous le charme de notre Reine de Saba.

Selon la légende éthiopienne, lorsque la Reine rentra dans son pays, elle donna naissance à un fils, le prince Menelik et les juifs éthiopiens (Les Beta Israël5) descendraient d’accompagnateurs du prince Menelik lorsqu’il apporta l’Arche d’Alliance de Jérusalem en Éthiopie au Xe siècle avant J.-C.  Belle histoire, non ?

Anne-Marie Chust

¹Bibliques, coraniques, chrétiens.
²Qui se serait étendu du Yémen au nord de l’Éthiopie jusqu’à l’Erythrée.
3Le Langage des oiseaux du maître soufi Farid-al-Din Attar.
4Le Targum Sheni du livre d’Esther (écrit midrashique en araméen, datant sans doute du VIIe ou du VIIIe siècle).
5Entre 1977 et 2010, plus de 86 000 Beta Israel immigrent en Israël, dont plus de 40 000 lors de deux opérations dramatiques, en 1983-1985 (Opération Moïse) et 1990-1992 (Opération Salomon) qui nécessita un pont aérien avec Israël.
6D’autres ont mis en avant l’engagement et la lutte des femmes bibliques.

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