Ce sont des mères, non pas de famille, mais des mères en cuisine. Cette tradition lyonnaise a gardé en mémoire la Mère Brazier, première à ouvrir un restaurant entre Rhône et Saône. Suivie par d’autres femmes de pouvoir, une originalité de la gastronomie française racontée par Catherine Simon.
« Les vestales de la table » (Curnonsky)
Elles sont plus nombreuses qu’on ne le croit. À commencer par la Mère Fillioux, petite paysanne venue du Puy-de-Dôme, élevée au rang d’icône avec ses quenelles de brochet, ses volailles demi-deuil et sa robe empesée qui balayait la salle en soulevant la sciure jetée sur le sol. Elle fut la première à se faire un nom après la Mère Guy et sa matelote d’anguilles, la Mère Brigousse et ses tétons de Vénus ou la Mère Célestine et son fameux poulet. Avec L’horloger de Saint-Paul, Bertrand Tavernier avait déjà redonné ses lettres de noblesse à Lyon : « Je crois surtout que Lyon est une ville qui prédispose au retour en arrière, une ville où on peut récapituler, se retrouver mieux que partout ailleurs ». Et ce n’est pas l’équipe du film qui s’en est plaint, dégustant chaque jour la cuisine de Paulette qui mitonnait écrevisses et escargots.
Des« étoiles-michelinées »
Eugénie Brazier, trois étoiles en 1933 pour ses deux restaurants, est la top chef parmi la trentaine de mères lyonnaises connues. Et lui a succédé sa petite-fille Jacotte Brazier. Elles sont toutes des femmes de tradition, travailleuses et attachées à leurs fourneaux, fidèles à leurs recettes comme la poularde de Bresse demi-deuil d’Eugénie avec des lamelles de truffe noire glissées sous la peau et parfumant la chair blanche de la volaille. Elle a même, grâce à Paul Bocuse, sa rue à Lyon depuis novembre 2000, au pied de la Croix-Rousse, la seule qui porte le nom d’une mère cuisinière. Marie-Thé Mora elle a une plaque qui commémore son souvenir rue Ozanam.
Seuls critères : le goût et l‘authenticité
De Léa Bidaut de Chazay-d’Azergues (« Je cuisine à l’imagination, j’ai une cervelle qui clicotte … Je suis venue au monde avec un palais ») à Alice Baude de Pizay qui régalait avec des gibiers en sauce, des poulets à la crème et des cuisses de grenouille, ces femmes n’ont pas manqué d’imagination gastronomique. Pas plus que d’audace, telle la Mère Brazier qui aurait fait un séjour en prison en 1945 pour avoir approvisionné son restaurant au marché noir alors que Jean Moulin séjournant à Lyon, capitale de la Résistance, dînait chez elle…
Déjà adeptes de l’émancipation féminine sans le savoir, il faut se rappeler qu’elles ouvraient leur restaurant à une époque où elles ne disposaient pas de compte en banque ou de savoirs pour gérer un commerce ! Catherine Simon, journaliste, a effectué un vrai travail d’enquête pour retracer le parcours de ces mères qui ont façonné la vie lyonnaise, ses quartiers, sa cuisine qui allait du plus léger comme la tarte à la praline au plus lourd comme les tabliers de sapeur.
« Mangées, une histoire des mères lyonnaises » de Catherine Simon aux éditions Sabine Wespieser (février 2018)