J’adooore la Fondation Vuitton, même si le parcours muséal y est parfois un peu compliqué, on commence tout en bas, on gravit des étages, on a l’impression de redescendre. Cet édifice en verre est comme un paquebot labyrinthique où l’on va, en quête d’art, de coursive en coursive.
Toutes voiles dehors
« Toutes voiles dehors » selon les propres dires de son architecte, Frank Gehry, américain francophile, mondialement connu et reconnu quand il s’agirait plutôt d’un voilier aux voiles gonflées par le vent d’Ouest, donnant ainsi l’illusion du mouvement. Douze voiles de verre translucides l’enveloppent et une succession de formes blanches décomposées en 19 000 panneaux tous différents et décalés pour créer un motif en « tremblement de terre » portant des terrasses arborées et flottant sur un bassin rempli d’eau, sans oublier quelques poissons volants au restaurant du musée, le bien nommé Frank.
À l’origine
Cette fondation ouverte en 2014 est un musée d’art moderne et contemporain et s’est voulue une réponse, dans le style déconstructiviste, à la Fondation Pinault installée à Venise depuis 2006. On dit qu’il est l’expression médiatique de la concurrence entre le patron du numéro un mondial du luxe, Bernard Arnault, et son rival, François Pinault. Intéressant, non ? Ces rivalités (ou ces chicaneries) de milliardaires nous ont valu en 2021 l’ouverture d’un autre haut lieu de l’art moderne à Paris, la Fondation Pinault à la Bourse de Commerce. Il ne serait pas dit que Pinault ne déploierait ses ailes protectrices qu’à Venise… Mais après tout, il s’agit d’une saine rivalité, pour notre plus grand bonheur ! On discutera des avantages fiscaux du mécénat une autre fois…
Le bal des couleurs
En tout cas, à la Fondation Vuitton, j’ai vu des expositions magnifiques. Je me rappelle avec un enthousiasme sans limite celle consacrée à Charlotte Perriand et que dire de celles sur Basquiat ou la collection Chtchoukine ? Et l’exposition actuelle, ou, pour être tout à fait exacte, les deux expositions actuelles¹ qui se répondent et dialoguent entre elles, n’ont pas à rougir des précédentes, loin de là.
♦ La première intitulée « Simon Hantaï : l’exposition du centenaire », célèbre la naissance de Hantaï (1922-2008). On nous présente une exposition rétrospective inédite, organisée en collaboration avec la famille de l’artiste, rassemblant plus de 130 œuvres dont beaucoup jamais exposées, pour la plupart de grands formats. Hantaï, hongrois d’origine devenu français, est passé du surréalisme à l’abstraction puis a commencé un nouveau rapport à la peinture, avec une méthode originale et très personnelle qui le fera connaître mondialement : la technique du pliage ou plutôt des pliages. Tout d’abord, il plie, froisse, roule, sa toile avant de la peindre, se privant ainsi de la vision de surface à peindre : la toile est pliée de bord en bord et une fois ouverte, la peinture révèle un motif coloré bien distinct et un espace négatif.
♦ La deuxième exposition dans les étages où la lumière est omniprésente, « La couleur en fugue », sort des carcans de la peinture habituelle. Elle s’en échappe pour orner les murs, le sol et même le plafond et envahir l’espace, des créations hautes en couleur. Cinq artistes² issus de la scène internationale, d’origines et de générations différentes, subliment ainsi les lieux et sont une occasion d’appréhender la couleur d’une manière singulière. Ne ratez surtout pas « Splinter » de Katharina Grosse, une acrylique en contreplaqué qui s’empare des murs et du sol, c’est fabuleux !
J’adooore la Fondation Vuitton où la peinture réinvente l’usage de la couleur.
Anne-Marie Chust
¹« Simon Hantaï – L’exposition du centenaire/ La couleur en fugue », Fondation Vuitton, navette gratuite au départ de l’avenue de Friedland. Jusqu’au 29 août.
²Oeuvres de Sam Gilliam, de Steven Parrino et de Niele Toroni prêtées par des fonds publics et privés du monde entier. Katharina Grosse et Megan Rooney – les deux autres artistes à l’honneur – ont, quant à elles, imaginé deux interventions inédites, réalisées en exclusivité pour la Fondation.
