Vicky Sommet a, au printemps 2024 à la demande de la Sorbonne, chapeauté deux étudiantes effectuant un Workshop les sensibilisant au métier de journaliste dans le cadre de leur Licence d’Histoire. Voici le fruit de leur travail : trois portraits de femmes engagées, représentantes d’un islam au féminin. Issues de milieux et de pays différents, elles incarnent un modèle universel de résilience et d’audace pour avoir, chacune à leur façon, défié l’ordre établi par les hommes afin d’ouvrir la voie à d’autres femmes.
Ok et bravi. Deux remarques : dans l’intro, ce n’est pas un stage mais un cours intitulé Workshop pour initier des étudiants à un futur métier. Et je mettrai un H majuscule à licence d’Histoire à la fin.
Femme d’hier
♦ Huda Sharawi, avant-gardiste et icône du féminisme égyptien
Huda Sharawi est née en 1879 dans une riche famille bourgeoise égyptienne. Elle grandit au sein d’un harem où elle reçoit un enseignement qui la destine à devenir femme au foyer. Dès son plus jeune âge, elle se plaint de son éducation. Alors que son frère reçoit une formation complète et diversifiée, elle se voit refuser le droit d’étudier la grammaire arabe. À la mort de son père, elle passe sous la tutelle de son cousin germain qu’elle est contrainte d’épouser à treize ans. Elle parvient à divorcer, ce qui éveille en elle un intérêt pour la question de la place des femmes dans la société égyptienne. Huda fréquente alors des salons destinés aux femmes, ce qui lui permet de développer sa pensée féministe qu’elle aiguise lors de nombreux voyages à Paris. Elle adopte les idées féministes occidentales tout en les intégrant à la religion et à la culture égyptienne. Elle crée un dispensaire destiné aux femmes des milieux pauvres, fonde l’Association intellectuelle égyptienne et participe à la création de la Société des femmes nouvelles au Caire. Parallèlement, elle organise des aides financières pour soutenir les femmes ayant perdu leur mari, père ou tuteur légal lors des manifestations et grèves.
Après s’être remariée à son ex-mari à l’âge de vingt et un ans, ce dernier décède et elle retrouve alors une liberté d’action politique et, la même année, elle retire son voile à gare du Caire. Ce geste, bien que polémique, marque une rupture avec son passé et la culture du harem. Elle décide également de créer l’Union féministe égyptienne qu’elle préside jusqu’à sa mort. En 1925, elle fonde la célèbre revue L’Égyptienne dans le but de donner la parole aux femmes sur divers sujets, créant ainsi un espace sûr où elles peuvent s’exprimer. La fin de sa vie est marquée par son engagement pan-arabique avant son décès le 12 décembre 1947.
Huda Sharawi, critiquée autant admirée, est aujourd’hui considérée comme une icône du féminisme arabe ayant contribué à l’émergence d’une nouvelle vague d’idées mêlant culture, tradition, nationalisme, religion et émancipation féminine dans un univers patriarcal.
Femme d’aujourd’hui
♦ Shahla Sherkat, la volonté de faire entendre les femmes iraniennes à travers le monde
Shahla Sherkat est née le 30 mars 1956 à Isfahan, probablement issue de la petite ou de la grande bourgeoisie citadine iranienne. Elle obtiendra une licence en psychologie à l’Université de Téhéran et un certificat de journalisme à l’Institut de Keyan. En 2002, elle reprend des études afin d’obtenir sa maîtrise en études féminines à l’Université d’Allameh Tabatabai. À 25 ans, elle est nommée éditrice en chef pour le magazine Today’s Woman à l’heure où la société iranienne est partagée entre évolution politique et idéologique. Lorsqu’en 1921 Reza Khan prend le pouvoir, la politique extrême de modernisation qu’il mène afin de justifier l’indépendance de l’Iran est mal supportée par la population et plus particulièrement par les femmes qui subissent des dévoilements forcés, une éducation scolaire « à la française » et une occidentalisation violente de la société. Ce cumul d’événements mène à la révolution islamique de 1979. En 1992, Shahla fonde la revue mensuelle Zanan, porte-voix du féminisme islamique mêlant le concept occidental à sa religion et s’intéressant aux politiques réformistes iraniennes, mais aussi aux cas de violences domestiques, à la sexualité et à la condition féminine. Fortement censurée, elle est bannie durant 16 ans. Elle fonde le journal Zanan-e Emrouz en 2014, également censuré.
Shalha Sherkat est une femme très controversée, suscitant tantôt admiration, tantôt critique, voire lynchage. En 2001, elle est condamnée à faire 4 mois de prison, car elle a assisté à une conférence à Berlin traitant des élections en Iran, en défendant le camp réformiste. Mais ailleurs dans le monde, elle est largement plébiscitée et remporte de nombreux prix de journalisme. Elle a publié « 30 ans après la révolution » en 2009.
Femme de demain
♦ Zahra Ali, contre les préjugés des femmes musulmanes en Occident (Irak)
Zahra Ali est la fille de réfugiés politiques irakiens arrivés en France en 1980. Dès l’âge de 15 ans, elle s’engage dans une association de femmes musulmanes à Rennes. Puis, elle rejoint, suite aux oppositions à la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises de 2004, le mouvement féministe non-mixte Collectif Féministe pour l’égalité. Docteure en sociologie à l’EHESS et chercheuse pour l’Institut français du Proche-Orient, elle y a soutenu sa thèse intitulée Les femmes de l’Irak d’après-Saddam offrant une vision inédite de la question féminine en Irak. Sa carrière lui permet de voyager et de fréquenter plusieurs centres de recherche en Grande-Bretagne et en Amérique où elle a pu faire évoluer ses opinions, affirmant ainsi ses idées anticoloniales. S’inspirant des travaux de Nacira Guénif-Souilamas, elle condamne l’interdiction du port du voile dans les écoles et du niqab dans les lieux publics les comparant à d’autres appels au dévoilement des femmes en contexte colonial. Elle souhaite aller au-delà des mouvements féministes internationaux en s’affirmant comme une féministe transnationale. En 2020, elle publie un ouvrage polémique intitulé Féminisme Islamique qui connaît un grand succès. Critiquant les politiques occidentales face aux femmes musulmanes et déconstruisant les préjugés sur le rapport entre islam et femmes, elle affirme qu’il y a une compatibilité entre islam et féminisme.
Ces femmes ne se sont pas laissées abattre dans leur combat, assumé ou involontaire, pour faire évoluer le statut de leurs pairs. Leur persévérance fait d’elles des modèles, qu’elles le veuillent ou non, qui poussent la femme à revendiquer sa légitimité et poursuivre ses rêves malgré les limites que la société lui impose. Elles ont une histoire commune et elles font partie de l’Histoire.
Hela Boujnah & Julianna Pisano
Étudiantes en 3ème année de Licence d’Histoire à La Sorbonne