Gisèle Halimi, l’avocate irrespectueuse

0

Avocate, écrivaine, militante féministe, femme politique, députée, Gisèle Halimi offre un parcours original à la fois cohérent et multidimensionnel. Droits de l’homme, droits des femmes, sa trajectoire est marquée par sa radicalité. Animée par la révolte dès l’enfance, voici le portrait d’une inlassable combattante dont les engagements sont plus que jamais d’actualité.

Le refus du destin

Issue d’une famille judéo-arabe inculte, elle est la première à apporter un livre à la maison. Très traditionaliste, sa mère transformait toutes les règles de religion en superstitions qui étaient les instruments d’oppression des femmes car « tout était péché ». Gisèle fait une grève de la faim à 11 ans pour dénoncer l’asservissement à l’égard de ses frères et, ses parents ayant cédé, gagne sa première victoire féministe. À 14 ans, elle refuse le mariage qu’on veut lui imposer avec un riche marchand de 20 ans son ainé. Grâce à une intelligence hors du commun et une détermination à toute épreuve, elle devient avocate, s’inscrit au barreau de Tunis en 1950 et à celui de Paris en 1957. Son parcours exceptionnel est celui d’une rencontre tant avec l’histoire (la guerre d’Algérie) qu’avec les aspirations d’une société de la deuxième moitié du 20e siècle qui se transforme et qu’elle comprend (droit à l’avortement, droit de disposer de son corps).

La défense au risque de sa vie

Bien que mère de deux jeunes enfants au moment de la guerre d’Algérie, Gisèle fait de nombreux allers-retours, ce que peu d’avocats ont fait pendant cette période. L’injustice à l’égard des peuples colonisés, observée dès sa petite enfance à Tunis, les tortures infligées pendant la guerre, lui sont intolérables. Elle a notamment défendu Djamila Boupacha, une jeune algérienne militante du FLN¹, torturée et violée par les militaires français². Pour elle, ce n’était pas un combat seulement axé sur l’Algérie, mais celui pour une jeune femme de 22 ans, militante d’une cause qu’elle partageait, l’indépendance de l’Algérie, très religieuse, vierge de surcroit³, qui a subi un viol,  qui serait d’ailleurs caractérisé aujourd’hui d’arme de guerre4. Au Général Massu, elle en appelle à l’éthique : « La torture déshumanise victimes et bourreaux ». Menacée de mort comme d’autres avocats défendant les combattants du FLN, elle fut précipitamment « rappelée » à Paris, l’information ayant été donnée de son exécution le jour même. Deux de ses collègues furent d’ailleurs assassinés dans leur cabinet par l’OAS5.

De l’anticolonialisme à la cause des femmes

Comme elle l’explique, sa génération a vécu « le drame de l’avortement clandestin, l’absence de moyens pour l’assumer, la peur des tribunaux, le risque de septicémie, de stérilité, de mort et par dessus tout la culpabilisation tous azimuts ». Le combat pour les femmes de se réapproprier leur corps a donc été un combat d’urgence. Le 8 novembre 1972 s’achevait à Bobigny le célèbre procès qui allait servir de prémices à la loi Veil de 1975 autorisant l’interruption volontaire de grossesse, un procès politique qui fit avancer le droit et la société6. Trois ans plus tard, en 1978, un autre procès au tribunal d’Aix-en-Provence, celui de deux jeunes filles violées et battues dans une calanque, marquera une première étape très importante dans la reconnaissance du viol en tant que crime (loi de 1980).

« Il y avait 5% de chances qu’on puisse faire reconnaître le viol comme crime tellement cette société était patriarcalisée à l’extrême, c’était des mentalités pires que moyenâgeuses. Moi, je m’attendais à ce qu’on perde. » Gisèle Halimi

Décédée en 2020 à l’âge de 93 ans, Gisèle Halimi, la fauteuse de troubles7, a mené 70 ans de combats au service de la justice et de la cause des femmes, comme un être « dont un dessein ferme emplit l’âme » selon le mot de Victor Hugo.

Michèle Robach

ÉCOUTER Grande Traversée : Gisèle Halimi, la fauteuse de troubles, podcast d’Ilana Navaro sur France Culture

¹Front de Libération Nationale.
²Elle raconte ce procès dans un livre célèbre préfacé par Simone de Beauvoir (Gallimard, Paris 1962, rééditions 1978, 1981).
³Voir l’article dans le Monde de Simone de Beauvoir du 2 juin 1960, « Pour Djamila Boupacha ».
4La première étude sur « le recours au  viol comme arme de guerre » a été réalisée lors de la conférence générale de l’Unesco en 1993.
5Organisation de l’armée secrète, pour le maintien de la France en Algérie.
6La plaidoirie de Gisèle Halimi.
7Biographie récente d’Ilana Navaro, Éditions des Équateurs (octobre 2022).

L'article vous a plu ? Partagez le :

Les commentaires sont fermés.