Leili Anvar, la poésie pour résistance

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Une double culture, une mère professeur de français en Iran et professeur d’anglais en France, un père acteur shakespearien, c’est tout naturellement que Leili est devenue traductrice. Ainsi est né son amour des langues dans leur dimension poétique, accompagné d’une musique des mots qui lui parlaient avant même qu’elle n’en comprenne le sens.

Voyage entre deux langues

En Iran, son pays natal, les comptines ou la poésie sont très présentes dès l‘enfance. Ce sera comme une patrie qu’elle a emporté avec elle en venant s’installer en France. Aujourd’hui, en plus de la traduction – « un voyage entre deux langues, entre deux univers culturels »-, Leili écrit et enseigne la littérature persane à des étudiants. « La langue persane est née avec la poésie persane au 9ème siècle, après l’invasion arabo-islamique de l’empire de Perse où l’ancienne langue s’est perdue. » L’arabe s’est alors imposé et, dans un effort de résistance, les Iraniens ont encouragé le développement d’une langue appelée aujourd’hui le fârsi que les Afghans préfèrent nommer dari, mais c’est la même langue, le persan, le tout pour éviter un écrasement culturel des Arabes.

Immortalité et poésie

« Le persan est une langue poétique de par sa musicalité et sa quintessence est sublimée lorsqu’elle est employée par des poètes comme Rûmî. La littérature persane, ce sont avant tout des poètes. » Elle a essaimé en Occident dès le 19ème siècle avec Saadi (il a été le premier poète persan à avoir été traduit en latin au 16ème siècle), un poète qui écrivait en persan « Le jardin des roses » ou avec « Les quatrains » d’Omar Khayyam rendus célèbres une fois traduits. La poésie persane parle d’amour, de sagesse et de célébration du vin. « Le livre des rois » est lui une épopée retraçant l’histoire de l’Iran depuis la création du monde jusqu’à l’arrivée de l’Islam.

« Toute entreprise poétique est une entreprise de Carpe Diem, car la vie est éphémère et le seul moyen de l’immortaliser, c’est de dire et de lire des poèmes. »

Un acte politique

Leili vient de traduire des poétesses afghanes qui mettent en miroir, en oreille plutôt qu’en regard, des voix féminines. Et poursuivra avec un autre projet, une traduction de ces poèmes en français et en anglais. « J’ai fait le choix de traduire des poèmes de femmes afghanes qui écrivaient depuis le 10ème siècle et je n’ai eu que l’embarras du choix, même si beaucoup sont contemporaines. La plupart sont publiées aux États-Unis, en Suède, en Allemagne mais aussi en France ou en Afghanistan, des poétesses en exil donc qui expriment l’amour de leur pays et leur désir de voir leur terre libérée du joug qu’elle subit actuellement. » Le fantasme de la patrie s’exprime comme un érotisme de la terre et les déclarations d’amour sont adressées à un homme ou à une femme car le persan n’a pas de genre.  « Quand une femme dit son désir, elle dit un poème d’amour mais fait aussi un acte politique, un geste de résistance et affirme ainsi sa liberté, une parole que les intégristes veulent réduire au silence. »

« À toutes celles dont le cri n’a pas pu naître ,
Celles dont la voix est étouffée
,
Celles dont le visage est effacé. »

Vicky Sommet

« Le cri des femmes afghanes », anthologie établie et traduite par Leili Anvar aux éditions Bruno Doucey.
Et aussi « La femme qui s’est éveillée » de Solène Chalvon-Fioriti aux éditions Flammarion, le récit d’une grand reporter sur ces femmes afghanes qui résistent par tous les moyens, de celles qui se donnent le feu plutôt que de subir le sort que leur réservent les hommes à celles qui ont monté le réseau clandestin Pill force qui distribue des médicaments abortifs. 

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