Sarah Doraghi, une drôle de migrante

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Après les cris des manifestants et les alertes à la bombe à Téhéran, Sara Doraghi quitte foulard et manteau islamique pour Paris et vivra son enfance ici en toute liberté. Arrivée à dix ans, elle a comme livre de chevet le Petit Robert pour apprendre le français… jusqu’à devenir chroniqueuse pour Télématin pendant treize ans, auteure et humoriste sur scène. 

Une maman 50% coton, 50% polyester

Ses parents envoient en France leurs trois filles quand l’école primaire américaine est remplacée sans ménagement par celle de la République islamique. Un aller sans retour dans un pays dont elles ne parlaient pas la langue, ni ne connaissaient les codes ou les coutumes. Heureusement, le Walkman apporté par papa permet d’écouter les voix du pays, la taie d’oreiller parfumée de Quartz de rappeler la présence de maman, une taie qu’il est interdit de laver avant sa prochaine visite en France. Iranienne et donc perse, cette seule appellation suffit à enflammer les esprits français…

« Ah ! perse comme Persépolis, berceau des civilisations, culture multiséculaire, plaisir des yeux, Shéhérazade, Mille et une nuits, dompteuse, charmeuse, ensorceleuse… »

Comprendre et parler

« Alors, poulet, t’es pas rôti ? » criait-elle en riant avec son copain du 4ème à l’attention des policiers de la rue. Sarah a le goût des mots et des phrases imagées qui lui ont permis de devenir journaliste, auteure, comédienne et humoriste. « En 5ème mon français avait encore de la peinture fraîche sur la façade ». Mais avancer dans cette vie d’exil fut possible grâce au professeur de français qui lui fait lire La promesse de l’aube de Romain Gary où le sacrifice maternel prit tout son sens, dans une classe où « noir, blanc, basané, bridé, les origines de chacun ne passaient jamais le seuil de la classe ». De « Je soussignée… » à « En avant Guingamp », Sarah fait d’énormes progrès.

Le français langue étrangère

« Le français est une langue si musicale. On en joue comme d’un instrument. On l’écoute comme un concerto. Elle est la clé de sol qui ouvre les portes des plus belles partitions culturelles ». Et l’accent : « Deux langues qui apprennent à vivre ensemble sous le même palais, c’est plus que de l’intégration linguistique, c’est de l’amour. » Pour Sarah, une des locutions les plus poétiques est : « Au revoir. Partir avec la promesse de se revoir ! Nous pouvons parler plusieurs langues, revenir à notre langue d’origine pour soigner notre exil, mais jamais la langue française ne sera quittée. »

Elle dit être un clash culturel, que se ranger dans la file « UE » à l’aéroport au lieu de la file « All passports » change tout. Au moment de recevoir la nationalité française, de chanter la Marseillaise devant des fonctionnaires de police (plus difficile que dans un stade de foot), elle s’est souvenue de Saint-Exupéry : « Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. » Sarah s’est abord demandée si elle trahissait ses origines bien qu’elle soit restée extrêmement fière de ses racines iraniennes. Ce passeport lui a donné l’impression qu’on lui remettait un prix pour l’ensemble de sa carrière ! Mais au final, les émotions et les larmes l’ont emporté : « J’ai applaudi à chaque remise de passeport et je suis repartie française. »

Vicky Sommet

« Je change de file » de Sarah Doraghi (éditions Plon, novembre 2019)

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