Zahia-Dyhia Ziouani, franco-algérienne d’origine kabyle de 36 ans, aurait pu se contenter d’être la plus jeune femme chef d’orchestre française¹, mais son énergie, sa soif de rendre ce qu’elle a reçu et sa certitude que seule l’éducation peut résoudre les problèmes de violence et d’intégration d’aujourd’hui l’ont conduite à monter outre son propre orchestre symphonique, Divertimento, une académie du même nom où elle donne accès à la musique à des enfants de tous milieux. Son postulat : la musique classique pour rassembler, partager, fédérer et conduire à la diversité sociale intergénérationnelle. Retour sur un incroyable destin !
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Son parcours
Ses parents arrivent en France en 1960 et s’installent en Seine-Saint-Denis. D’origine modeste, son père aime la musique classique à laquelle il initie ses enfants dès le plus jeune âge (Zahia a une sœur jumelle musicienne, elle joue du violoncelle et l’enseigne) en leur faisant écouter de la musique et en les emmenant aux concerts. « Nos origines sociales ne nous prédestinaient en rien à faire le métier que j’exerce » dit-elle. Sa première passion fut la guitare classique, puis elle devint violoniste alto à 12 ans pour pouvoir jouer dans des orchestres symphoniques ce qui lui permit d’être placée au milieu, devant le chef d’orchestre, qu’elle eût tout loisir d’étudier. « On ne s’autorise pas à penser qu’on va être chef d’orchestre » confie-t-elle, et pourtant… Si ses professeurs essaient de la décourager et lui disent de penser à autre chose, elle se souvient de sa mère et avant elle de sa grand-mère qui se sont battues en Algérie pour la condition de la femme, alors pourquoi pas elle ? À 16 ans, elle est repérée par l’assistant du chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache (1912-1996) qui lui fait rencontrer le maître en présentant le premier mouvement de la 9e Symphonie de Bruckner. Elle intègre son cours prévenue du discours suivant : « les femmes n’ont jamais tenu plus de quinze jours dans ma classe ! » Elle y reste un an et demi. Elle a 18 ans, la grande aventure commence ! Diplômée en analyse musicale, orchestration et en musicologie à l’Université Paris IV Sorbonne, elle remportera plusieurs prix de conservatoire (alto, guitare classique, musique de chambre).
Divertimento
Pour développer son art, le chef d’orchestre doit diriger. Pendant longtemps être chef d’orchestre était d’ailleurs plutôt une deuxième partie de carrière après avoir été musicien ou compositeur. Non seulement Zahia est jeune, mais c’est une femme. Elle doit donc travailler plus qu’un homme et… crée dès 1997 son propre orchestre symphonique Divertimento pour pouvoir exercer et progresser (70 musiciens issus de la Seine-Saint-Denis, Paris et la Région Ile-de-France forment cet orchestre). Autre innovation : Zahia a souhaité favoriser l’intégration des femmes au sein de tous les pupitres et ainsi développer la parité (jouer de la trompette et des percussions était par exemple traditionnellement réservé aux hommes). Son idée de la musique ? Jouer des œuvres innovantes dans les grandes salles et du classique dans les banlieues, en prison et ainsi permettre à tous les publics d’accéder à la musique symphonique.
Aujourd’hui si l’orchestre se produit dans de nombreux festivals en Algérie, Allemagne, Belgique, Espagne, Pologne, République Tchèque, Russie, si Zahia est invitée à diriger des orchestres un peu partout dans le monde, si elle a écrit des livres et a été décorée², le projet qui lui tient à cœur reste de combattre la misère et de donner accès à la musique à tous. Son Académie Divertimento créée en 2008 s’y emploie en accueillant chaque année plusieurs dizaines de jeunes musiciens débutants ou confirmés. Son objectif premier étant de récréer du lien social par la pratique musicale orchestrale.
Il faut croire en ses ambitions. Donner éducation et instruction aux enfants qui ont moins de chance d’y accéder. « Il existe de grandes inégalités dans les financements et il ne faut pas attendre d’autres drames mais rebondir sur le grand élan de popularité qui vient de secouer notre pays » dit-elle. Pour cela, il faut de l’argent, trouver des partenaires privés et convaincre l’État de débloquer des fonds.
Aidons Zahia !
Marie-Hélène Cossé
*This article was translated in English by Artemis Sfendourakis for our partner in Australia My French Life.
Divertimento
¹ Plus de 90% des chefs d’orchestre sont des hommes encore aujourd’hui. Historiquement, les femmes chefs d’orchestre se révèlent encore plus rares que les compositrices : une dizaine entre 1789 et 1914. Longtemps réservé aux hommes par le passé, le rôle de chef s’est féminisé au cours du XXe siècle et a vu apparaitre plusieurs générations de femmes tenant la baguette depuis Nadia Boulanger ou Jane Evrard jusqu’à nos jours Marin Alsop, Claire Gibault, Susanna Mälkki, Nathalie Stutzmann et Laurence Equilbey dont Mid&Plus fera bientôt un portrait. Le fait même qu’une femme puisse mener une carrière de chef d’orchestre est encore l’objet de discussion et de polémiques (il n’y a pas non plus de femme directeur musical ou d’opéra en France)…
²Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres (janvier 2014), Prix Coup de Cœur Femmes d’Influences (voir article).
Lire : La chef d’orchestre, Zahia Ziouani en collaboration avec Bénédicte des Mazery, (Éd. A. Carrière, 2010), D’une rive à l’autre, Zahia Ziouani (Éd. Art, Aux reflets du temps, 2014).