Elles s’appellent Claudine, Isabelle, Amandine et Marie, elles ont 17 ans et la chance de décrocher un stage à Paris. Où loger ? Chez ces bons amis de leurs parents bien sûr ! D’abord froid, presque désagréable, l’homme qui les accueille devient étrangement entreprenant jusqu’à ce qu’il devienne une bête et que l’irréparable se produise, une nuit, puis d’autres. Claudine, Isabelle, Amandine et Marie n’ont pas eu 17 ans la même année mais vivent la même situation l’une en 1937, l’autre en 1973, l’autre 1990, Marie en 2009. L’une des qualités du roman est de montrer les constantes de ces destins : la naïveté de l’adolescence, l’innocence ancrée dans la confiance en l’adulte, les corps et les âmes meurtris. Quelle que soit l’année, la sidération est la même, l’incapacité de se défendre la même, la même, la peur de parler. Cinquante ans d’évolution sociale, mai 68, l’éducation sexuelle, la loi Veil n’y changent rien ou pas grand chose car la société, au premier rang de laquelle se trouvent les parents, a toujours la même difficulté à écouter la parole des adolescentes, à les croire et à les protéger. Quand, ultime catastrophe, l’enfant paraît, perdurent aussi les difficultés à vivre des grossesses non désirées et, si l’avortement n’a pas été possible, la solitude et la difficulté à aimer le petit être qui vient.
« La nuit, chaque nuit, elle est son jouet. Elle a pris le parti de s’extraire de son corps, de le regarder de loin comme si elle n’était pas vraiment là, d’espérer le matin, sans proférer un son, une parole ou une plainte. Elle a pris le parti du silence. »
Également autrice de nouvelles, Camille Lysière signe un beau roman sur un sujet terrible, un roman bien construit où les récits s’enchaînent et se répondent. On ne s’ennuie pas une minute jusqu’à la scène finale, implacable.
Isabelle Scherer
« La bête en elles » de Camille Lysière (Editions Eyrolles, 2021)
