Elles ont été les inspiratrices de Klimt, Renoir, Claudel ou Chagall. Où résidait le secret de ces muses pour réveiller le génie créatif de leurs compagnons ?
♦ Gustav Klimt et Émilie Louise Flöge
par Anne-Marie Chust
Gustav Klimt, représentant majeur de la Sécession Viennoise, est plus connu pour sa peinture symbolique représentant ses modèles drapés et encerclés par des robes aux parures tourbillonnantes et dorées, que par la dame qui les inspira, Émilie Louise Flöge, sa femme de l’ombre. Entre eux, des liens familiaux complexes, le frère de Gustav, Ernst, épouse Hélène, la sœur d’Émilie et meurt prématurément. Et voici que Gustav se retrouve être le gardien d’Hélène et de ses sœurs dont Émilie, de 12 ans sa cadette, et couturière de formation. Gustav tombe sous son charme et une relation mystérieuse, magique et secrète nait entre eux, l’un des plus fameux tableaux de Gustav « Le baiser » la représente et montre une intimité fusionnelle.
Cette belle jeune femme moderne, raffinée et élégante, rentre de plain-pied dans le XXe siècle où toutes les formes d’art et de design vont s’épanouir. Styliste de talent, elle ouvre une maison de haute couture et ses modèles déstructurés portés sans corsets seront très prisés dans les cercles artistiques et « bohème chic » de la capitale autrichienne. Ce fut un temps de changement, d’expérimentation, dans lequel Émilie, avec son style non conventionnel et son amour des imprimés audacieux et japonisants s’est exprimée, même si elle n’a pas eu le succès de son « éducateur », ses créations étincelantes, que Gustav a peintes, deviendront iconiques et continueront d’inspirer des créateurs de mode plus de 100 ans après.
♦ Renoir et Jeanne
par Vicky Sommet
C’est en peignant en amateur un tableau de Renoir que je me suis demandée qui était sa muse. Réponse, Léonie Pauline Jeanne Samary, comédienne, née à Neuilly-sur-Seine, morte en 1890 à Paris. Issue d’une famille d’artistes, elle entre à quatorze ans au Conservatoire et obtient à dix-huit ans le premier prix de comédie. Débutant à la Comédie-Française dans le rôle de Dorine, elle deviendra Sociétaire et se spécialisera dans les rôles de soubrettes de Molière. Sa renommée tient surtout à une douzaine de portraits que Renoir a peints d’elle dont l’une des premières œuvres impressionnistes « La Balançoire » et sa présence dans le célèbre « Déjeuner des canotiers ». Après un succès mitigé pour « La rêverie », Renoir pense la contenter avec un portrait en tenue de bal, mais après trois ans de collaboration, Jeanne, très orgueilleuse, quitte Renoir pour des peintres de l’école académique, plus susceptibles de la valoriser selon elle.
♦ Rosalie et Paul Claudel
par Michèle Robach
Une liaison fut tenue secrète entre Claudel et Rosalie Vetch, rencontrée sur le bateau qui les conduit en Chine en 1900. Elle est mariée. Claudel, lui, regagne son poste de consul à l’âge de 32 ans. Une relation passionnée démarre et dure jusqu’en 1904, quand Rosalie enceinte, s’enfuit par désespoir en Europe. L’épisode de leur rencontre sera transposée et magnifiée dès 1905 dans Le partage de midi avec la passion de Mesa (Claudel) et d’Ysé (Rosalie) avant de prendre une dimension théologique avec les amours de Dona et de Rodrigue dans le Soulier de Satin de 1928-1929. Claudel avouera à un ami: « Vous savez que je fais un drame qui n’est autre que l’histoire un peu arrangée de mon aventure. Il faut que je l’écrive. J’en suis possédé depuis des années, et cela me sort par tous les pores. » Des vers de Claudel, tirés des cent phrases pour éventails, sont gravés sur la tombe de Rosalie : « Seule la rose/ est assez fragile pour exprimer l’éternité. »
♦ Bella Rosenfeld et Marc Chagall
par Marie-Hélène Cossé
Quand Marc Chagall rencontre Bella Rosenfeld en 1909, elle a 20 ans. Le coup de foudre est total ! Muse et épouse, elle l’accompagnera pendant 35 ans. La plupart des tableaux du peintre révèle sa présence. Elle meurt d’une infection à 55 ans, le laissant désespéré. Il ne peindra pas pendant presqu’une année, tout à son chagrin. Malgré ses deux nouvelles compagnes, Chagall, qui lui survivra 41 ans, continuera toujours à la dessiner, la peindre dans ses œuvres. Un amour à l’épreuve du temps et de la mort !
« Son silence est le mien. Ses yeux, les miens. C’est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir ; comme si elle veillait sur moi, me devinant du plus près, bien que je la voie pour la première fois. Je sentis que c’était elle ma femme […]. Je suis entré dans une maison nouvelle, et j’en suis inséparable. »
Lire Amours fous, Passions fatales d’Alain Vircondelet (septembre 2017)