Quelques mots en apparence bien simples qui posent une question vertigineuse… Qu’est-ce qui m’a bouleversée, marquée, changée ? Quelle oeuvre, quel talent artistique au détour de mon chemin m’ont impactée au point qu’il me semble aujourd’hui avoir aiguillé ma vie en m’en imprégnant ? L’équipe de Mid&Plus s’est pliée au jeu de la question d’Annick Cojean. Et vous, qu’est-ce qui vous a impactée ?
♦ Guernica de Pablo Picasso (1881-1973)
par Anne-Marie Chust
Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas « rencontré » Picasso et l’art moderne. Picasso, avec sa fulgurance cruelle, magistrale et révolutionnaire. Picasso agitateur, original, avant-gardiste dont ma mère disait qu’elle aurait pu faire les mêmes « gribouillis »… sauf avec « Guernica » dont on ne plaisantait pas à la maison car cela racontait notre histoire, celle de ma mère en particulier. Peint pour le pavillon de la République espagnole de l’exposition universelle de Paris en 1937, en pleine guerre civile espagnole dont Picasso disait « qu’elle était la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté », il s’agit d’une représentation dramatique du bombardement de la ville basque de Guernica ordonné par le général Franco un jour de marché d’avril 1937, exécuté par ses alliés allemands et italiens et qui tua principalement des femmes, des enfants et des vieillards. Ce tableau en noir et blanc évoque les photos de guerre de la presse écrite et, malgré son côté incroyablement moderne, trouve ses sources d’inspiration dans l’iconographie chrétienne : cette mère à l’enfant mort comme une piéta, cette femme qui traîne sa jambe coupée, ce cheval transpercé d’une lance comme une crucifixion, sans oublier le taureau symbole sacrificiel de l’Espagne.
« La peinture ce n’est pas fait pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi. » Pablo Picasso
Picasso refusa que le tableau soit amené en Espagne tant que Francisco Franco serait au pouvoir. Il sera donc conservé pendant toute la dictature franquiste aux États-Unis, de retour en Espagne seulement en 1981, aujourd’hui exposé au Musée Reina Sofia à Madrid. Picasso, mort en 1973, ne reverra jamais l’Espagne (Franco n’est mort qu’en 1975). Certes il a vécu une vie extraordinaire et contradictoire, il est l’un des plus importants artistes du XXème siècle, il a révolutionné l’art, il est mort milliardaire, mais il est resté fidèle à ses idées même si Dali, disait de lui : « Picasso est espagnol, moi aussi, Picasso est un génie, moi aussi, Picasso est communiste, moi non plus ». Mais surtout, grâce à lui, nous n’oublierons jamais la guerre d’Espagne (1936-1939).
♦ Londres et la culture anglaise
par Marie-Blanche Camps
Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas quitté Paris pour Londres. Partie pour trois ans, j’y suis restée 16 ans, par choix. Vivre dans un pays étranger et découvrir une autre culture m’a permis d’embrasser la nouveauté et d’accepter la différence… On ne connaît pas réellement un pays que l’on visite avec sa casquette de touriste, ni une culture que l’on découvre à travers la littérature.
A 350 km, Londres est plus proche de Paris que Lyon. Mais dès la sortie de l’Eurostar, l’ambiance est tout à fait différente. Cette mégapole huit fois plus grande que Paris est d’une richesse culturelle, architecturale, sociale extraordinaire. Aux yeux des Français, tout est différent. Oui, les voitures et le métro roulent à gauche, tout le monde reste sur le côté droit de l’escalator du métro, oui, les fenêtres ouvrent vers l’extérieur, le robinet d’eau froide est à gauche et le robinet d’eau chaude est à droite… Oui, on apprend la multiplication aux écoliers d’une façon incompréhensible, les passants s’excusent si vous les bousculez et oui, les commerçants vous appellent « my love » dès le premier regard… L’Histoire de nos deux pays, frères ennemis, est intimement liée depuis l’arrivée de Guillaume le Conquérant en 1066, et les références à la culture française sont multiples et constamment mises en valeur par les Britanniques, dans les domaines linguistiques, culturels, historiques, architecturaux.
Se réinventer dans une ville étrangère, dans une autre culture, tout en restant profondément français, voilà le défi et la chance inouïe d’une expatriation. Être profondément française, avec sa langue maternelle et sa façon de penser et s’imprégner de la culture anglaise, voilà le véritable défi d’une expatriation réussie. Non, Paris n’est pas le centre du monde, la France non plus !
♦ Des parents inspirants qui ont eu la bonne idée de me mettre au monde
par Agnès Brunel-Averseng
Banal d’écrire cela ? Eux ne l’étaient certainement pas ! Ma mère, une femme splendide, indépendante, qui a toujours su ce qu’elle voulait : devenir médecin. Les poupées qu’on lui offrait enfant terminaient disséquées pour voir « ce qu’il y avait dedans ». À son père qui lui conseillait de faire des études de pharmacie en vue d’embrasser une profession « rassurante », elle opposa son inscription en médecine, sans son autorisation, qui lui valut une claque en pleine rue devant la faculté. C’était au début de la seconde guerre mondiale en Afrique du Nord. Étudiante pendant la guerre, bras droit du professeur d’anatomie qui voulait qu’elle lui succède, médecin de campagne et de bordel… mais aussi artiste peintre touche à tout, voyageuse infatigable… Ses histoires ont bercé mon enfance, sa force de caractère et sa volonté forçaient l’admiration. L’âme sœur se devait d’être à la hauteur ! Pas question pour elle de se marier par convention, malgré les nombreux prétendants qui ne manquaient pas. L’âme soeur a pris les traits de mon père, 15 ans de plus (plutôt rare à l’époque), élégant, raffiné, humaniste érudit, cultivé, curieux de tout, excellent pianiste qui remplissait la maison des notes de Schubert, de Fauré et de Franck, polyglotte (six langues à son actif) qui, lorsqu’il nous a quittées beaucoup trop tôt (je n’avais que sept ans et lui 60), venait d’obtenir sa certification en hébreu dans l’optique de traduire les textes saints. Arboriculteur de métier, mais pilote passionné d’archéologie aérienne à la recherche de vestiges romains, il entraina ma mère sur ses traces et elle devint la première femme pilote d’acrobatie aérienne d’Afrique du Nord. Ils n’ont été mariés que 10 ans, c’est si peu pour un si grand amour. Leurs legs les plus précieux : l’amour, la curiosité et la liberté de penser. Tellement rare aujourd’hui. À mes anges gardiens, merci !