Cette semaine notre rédaction choisit de mettre en lumière quatre visages du cinéma féminin pluriel. En Europe, un film sur cinq seulement est réalisé par une femme. 16% des 100 premiers films du box-office le sont par des femmes. En 2020, aucun des 4 films français ayant atteint le million de spectateurs n’a été réalisé par une femme malgré le succès de comédies où elles excellent, comme le talentueux Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal.
Sources : Celluloid Ceiling 2020 et Le Lab Femmes de cinéma.
♦ Maïmouna Doucouré, la puissance de la caméra
par Christine Fleurot
Maïmouna Doucouré est une jeune réalisatrice (36 ans) d’origine franco-sénégalaise. Après deux courts métrages, dont Mamans particulièrement distingué dans de nombreux festivals, elle réalise son premier long métrage : Mignonnes (Cuties), sorti en août 2020. Cette comédie dramatique a obtenu le prix du jury de la meilleure réalisation au Festival de Sundance 2020 et une nomination aux Césars 2021 pour le prix du meilleur premier film. Le film traite particulièrement de la polygamie et de l’hypersexualisation des jeunes filles. Ce regard audacieux a retenu l’attention du jury du Prix Alice Guy 2021 qui récompense chaque année le travail d’une femme cinéaste et met en valeur la filiation entre la pionnière Alice Guy et les réalisatrices contemporaines. La fausse polémique issue d’une présentation du film biaisée par la plateforme Netflix (rectifiée avec excuses) et d’une mauvaise foi d’une certaine critique américaine ne feront qu’amplifier les trompettes de la renommée.
♦ Kathryn Bigelow, une cinéaste de choc
par Michèle Robach
Bigelow s’est affirmée comme une réalisatrice qui filme la guerre (au delà des frontières, ou intestine), la violence, la torture, domaines traditionnellement réservés aux hommes. En 2009, The Hurt Locker (Le démineur) se déroule en Irak où la guerre est filmée par le seul prisme d’une équipe de démineurs. Dans ce film, elle montre la guerre comme une drogue qui tue autant qu’elle procure du plaisir aux hommes. En 2012, Zero Dark Thirty retrace à chaud la longue traque d’Oussama Ben Laden après les attentats du 11 septembre 2011, En 2017, Detroit porte sur les émeutes du 23 au 27 juillet 1967 dans le quartier noir de cette ville où les habitants se heurtent à un appareil d’État (la police, l’armée) encore largement habité par un imaginaire raciste. Elle évolue avec une aisance stupéfiante à l’intérieur de ce monde froid et violent. Cela lui a parfois valu des critiques (pour Detroit, illégitimité en tant que blanche pour parler de racisme ou avoir une approche complaisante sur la torture dans Zero dark thirty), mais surtout de nombreuses récompenses, dont celle d’être la première femme à recevoir l’oscar du meilleur réalisateur (pour Démineurs en 2010).
♦ Haifaa al-Mansour : une autre Arabie ?
par Anne-Marie Chust
En 2012, Haïfaa Al-Mansour, première (et unique) réalisatrice d’Arabie Saoudite, éveillée depuis son plus jeune âge aux Arts et à la vidéo par son père, un poète reconnu, réalise un film entièrement tourné dans son pays. Wadjda dépeint la situation des femmes à travers une héroïne de 12 ans qui a pour seul rêve de s’acheter un vélo, sauf qu’ici les bicyclettes sont réservées aux garçons ! Wadjda va devoir faire montre de persévérance (et intelligence) pour finalement grimper sur son précieux vélo. Le film sera internationalement reconnu* et lui permettra de se faire connaître aux États-Unis. De retour en Arabie Saoudite en 2019, Haïfaa réalise The perfect candidate. Elle y présente un état des lieux partiel sur un pays en pleine évolution où les femmes peuvent enfin conduire, exercer une profession et « rentrer » en politique malgré d’innombrables obstacles. Une peinture lucide de la société saoudienne à l’heure où des progrès notables ont été obtenus face aux autorités religieuses, mais où encore beaucoup de chemin reste à parcourir.
Il se dégage de ces deux films de Haïfaa Al-Mansour une grande douceur, car malgré son caractère bien trempé, elle veut exprimer sa pensée sans choquer ses compatriotes. Elle ouvre la voie, en tout cas on l’espère, à une profession en devenir en Arabie Saoudite.
* Prix du meilleur film Art et Essai à la Mostra de Venise 2012 pour Wadjda.
♦ Claire Denis, éclectique avant tout
par Michèle Robach
Trois particularités s’imposent dans l’œuvre de cette cinéaste singulière. La Fascination pour l’’Afrique, continent de son enfance que l’on retrouve dans White Material où une femme (Isabelle Huppert) s’obstine à sauver sa plantation malgré la guerre civile, Chocolat sur une famille de colons au Cameroun et Un beau travail, film chorégraphique sur la Légion étrangère à Djibouti. La mise en scène de la fragilité des liens : le lien entre une enfant et le boy noir (Chocolat), les liens voraces, vampiriques entre les personnages de Trouble Every Day (avec Béatrice Dalle), ce lien amoureux si difficile à reconstruire dans Un beau soleil intérieur (avec Juliette Binoche). La musique qui irrigue toutes ses œuvres, comme dans la scène culte de J’ai pas sommeil où avec l’immense contribution des Tindersticks à son œuvre, comme dans la scène d’ouverture de Trouble every day ou l’opéra de Britten dans Beau travail et enfin la scène finale du film où Claire Denis offre à Denis Lavant un espace de totale liberté sur une chanson de Corona.
Par la diversité de ses intrigues, Claire Denis s’est imposée comme une cinéaste à part et entière.
BON À SAVOIR
– Deux réalisatrices sont seules à pouvoir s’enorgueillir d’avoir réceptionné la Palme d’or au Festival de Cannes : Jeanne Campion en 1993 pour La Leçon de piano et cette année et Julia Ducournau avec Titane.
– Aux États-Unis, seules deux femmes ont remporté l’Oscar du meilleur réalisateur : Kathryn Bigelow (2010) pour Démineurs et récemment Chloé Zhao (2020) pour Nomadland.
Sources : Celluloid Ceiling 2020 et Le Lab Femmes de cinéma.