Si je dis gynécologue et chirurgien, jusque-là rien d’original. Mais si je dis République Démocratique du Congo, région du monde où le viol collectif est une arme de guerre, vous comprendrez qu’il faut du courage et oser mettre sa vie en danger pour secourir des femmes victimes de sévices sexuels.
Les droits des femmes sont des droits humains
Fils d’un pasteur, confronté dès son plus jeune âge aux fuites et à l’exil, il a su, en voyant son père au chevet des malades, que la prière ne suffisait pas à guérir de la malaria, de la polio ou de la fièvre jaune. Il décide de devenir muganga. « C’est parfait » dira son père « on pourra travailler en équipe, tu donneras les médicaments et moi, je prierai pour les malades. » D’abord pédiatre, il constate la vulnérabilité des femmes « considérées dès la naissance comme des citoyens de seconde zone », bien qu’elles exercent tous les métiers et meurent souvent en couches, car les femmes noires ont trois à quatre fois plus de risques de mourir en couches qu’une blanche au niveau mondial.
Les femmes portent l’humanité
Devenu gynécologue-obstétricien, il se forme en France et rentre au Congo. Direction d’un hôpital, formation de sages-femmes, tous ses projets seront vite entravés par la situation politique et les conflits armés. Avec pour conséquence les viols, une réalité dans une société où les hommes détiennent tous les pouvoirs dans ce Congo appelé « la capitale mondiale du viol », des actes qui occasionnent des dissociations du corps, des séquelles psychologiques et un sentiment d’humiliation.
3 000 femmes par an sont soignées dans ce centre régional et on estime à 400 000 les femmes violées chaque année au Congo.
Le viol intégré dans la culture
La cruauté à l’égard des femmes n’a pas de limite. Chaque bande armée a son mode opératoire, mutilations sexuelles, explosion de l’appareil génital en tirant à balles réelles dans le vagin ou en le lacérant avec des armes blanches, en coupant les seins pour qu’il n’y ait plus d’allaitement possible ou viols massifs dans un village, fillettes de 3 ans comme vieilles femmes de 80 ans. Les explications se trouvent dans la pauvreté endémique, la corruption des dirigeants, la malnutrition, l’insécurité. Le viol détruit la communauté et fait des enfants nés après viols des êtres rejetés et discriminés. Les lois ne suffisent pas à endiguer ce phénomène, l’ONU doit se montrer plus ferme pour que les fautifs soient punis, les armées payées et l’État ne doit pas récompenser ceux qui ont orchestré ces crimes.
Prix des Droits de l’homme des Nations Unies, Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, le docteur Mukwege a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2018.
Denis Mukwege a fondé un hôpital où il pratique une approche holistique de la prise en charge de ces femmes, médicale, psychologique, sociale et légale. Il m’avait déjà parlé de son projet ambitieux en 2013. Il témoigne aujourd’hui en 2021¹ car il pense toujours que « les femmes sont les mères de l’humanité, les gardiennes de la culture et de la stabilité du tissu social, elles préservent la continuité de la lignée grâce à la procréation ».
Vicky Sommet
¹« La force des femmes » de Denis Mukwege aux éditions Gallimard (octobre 2021).