Deux légendes des États-Unis sont actuellement exposées aux yeux des Français : la peintre Georgia O’Keeffe et la photographe Vivian Maier. Deux personnalités singulières et libres, ayant en partage la volonté d’imprimer une identité américaine forte à l’expression de leur travail.
♦ Georgia O’Keeffe (1887-1986), artiste déterminée
La vie artistique officielle de Georgia O’Keeffe commence sous le regard d’un photographe, celui d’Alfred Stieglitz, incontournable acteur de la vie artistique new-yorkaise, propriétaire de la Galerie 291 où il y présente Rodin, Matisse, Picabia et Cézanne. Il y exposera -sans la connaître et sans son accord- ses premiers dessins au fusain (1916). La suite, on en connait l’histoire : une aventure fusionnelle, érotique et artistique. Divorçant de sa première épouse, il épousera sa cadette de 23 ans en 1924, photographiant sa muse compulsivement (plus de 350 portraits et nus) et n’ayant de cesse de l’épauler tout au long de sa carrière.
Georgia O’Keeffe, d’origine irlando-hongroise, née dans les immensités du Wisconsin, vivait dans une famille nombreuse, modeste et plutôt puritaine. Sa mère toutefois encouragea sa vocation et son talent précoce en l’envoyant à la School of the Art Institute de Chicago, puis à l’Art Students League de New York. Elle était professeure d’arts plastiques à Canyon (Texas) lorsqu’elle rencontra Stieglitz.
L’exposition très ouverte dans sa scénographie, comme pour symboliser l’aspiration viscérale de l’artiste pour les grands espaces et comme pour accentuer l’image d’un esprit libre, fait prendre conscience de sa capacité à traverser tous les grands courants de peinture du XXe siècle, tout en y apposant sa propre identité esthétique. Le film qui clôture ce parcours magistral nous fait découvrir une Georgia O’Keeffe d’une allure folle, l’œil malicieux, tempérant l’interprétation de ses pistils suggestifs, de la verticalité de ses buildings ou de ses paysages vallonnés. « C’est le problème du regardeur, pas le mien » dit-elle, avec cette fierté affirmée, celle d’être une peintre « suprêmement américaine ».
Georgia O’Keeffe, Centre Pompidou-Paris, jusqu’au 6 décembre 2021.
♦ Vivian Maier (1926 – 2009) : photographe énigmatique
La vie de Vivian Maier se dévore comme un roman policier tant elle est énigmatique. La découverte de son travail ne tient qu’à un fil : la curiosité et la ténacité d’un homme, John Maloof, qui mit -deux jours après la mort de la photographe- fortuitement la main sur ses valises emplies de plus 120 000 clichés et films. Enquêtant sur l’identité de leur propriétaire, il dessina l’original destin de cette femme avant d’en exposer les tirages.
Américaine, fille d’émigrés (père hongrois et mère française), Vivian Maier fut initiée, dit-on, à la photographie par une amie lors d’un séjour dans les Alpes de Haute-Provence. De retour aux États-Unis, devenue gouvernante d’enfants à Chicago puis à New York, Rolleiflex en bandoulière, elle sut capter les battements de cœur de la société américaine dans le « théâtre de la rue », mais sut aussi s’essayer aux natures mortes, aux portraits et aux autoportraits. Dernier exercice opaque où rien ne filtre de son reflet austère, ingrat et intransigeant.
Son travail visuel, jamais partagé, qualifié aujourd’hui de Street photography, d’humaniste est empreint d’une grande sensibilité, d’une juste distance et d’une pointe d’ironie face à ses sujets. Photographe de l’ombre, Vivian Maier regardait frontalement la vie américaine sans jamais rien révéler de la complexité de sa propre existence.
Vivian Maier, Musée du Luxembourg – Jusqu’au 16 janvier 2022.
Christine Fleurot
À LIRE
– L’Instinct moderne – Écrits sur Georgia O’Keeffe de Didier Ottinger et Anna Hiddleston (Éditions Centre Pompidou, €13,50).
– Georgia O’Keeffe, Amazone de l’art moderne – Luca de Santis et Sara Colaone (Éditions Centre Pompidou, €24).
– Vivian Maier révélée d’Ann Marks (Delpire & Co, €29).
– Vivian Maier – À la surface d’un miroir de Paulina Spucches (Steinkis, €22).