Embrassez qui vous voudrez

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Nous vivons une époque où les embrassades sont interdites avec l’espoir que les baisers reviendront en force très prochainement. Après une étude fouillée sur le linge et une sur les matins après une nuit d’amour, le microsociologue Jean-Claude Kaufmann se penche sur le baiser qui peut faire basculer une vie. 

Le baiser naturel

Si les animaux ne s’embrassent pas comme nous, les frottements de becs d’oiseaux y ressemblent beaucoup. Si on s’est attribué le « French kiss », au 14ème siècle, il s’appelait le « baiser colombin », issu peut-être des parades amoureuses des colombes. Au Québec, le baiser ne se dit-il pas « bec » et les amoureux de Brassens « se bécotent sur les bancs publics ». Même si l’Afrique et l’Asie les pratiquent peu ou pas du tout, l’Antiquité romaine en était friande avec trois sortes de pratiques : l’osculum qui célébrait l’amitié ou la reconnaissance, le basium, qui exprimait la tendresse, bouche fermée, et le suavium, plus voluptueux, qui ne s’épanouissait qu’en dehors du mariage.

Le baiser social

Les chevaliers du Moyen-Âge s’embrassaient pour exprimer amitié et respect, une forme d’amour viril, le baiser vassalique, signe de soumission d’un vassal à son seigneur, se manifestait avec l’agenouillement, le baiser et le serment de fidélité. « En Dauphiné, les nobles baisent sur la bouche, les bourgeois sur le dos de la main ou l’anneau, les vilains au pouce ». Plus bas, on pouvait pratiquer le « baiser du podex », l’humiliation pour ce baiser sur les fesses ou plus bas encore, il fallait baiser le sol et se prosterner devant les rois en Israël. Au 18ème siècle, apparaît l’efficacité médicale du bouche-à-bouche et la bise française, d’une à quatre, révèle son appartenance à une région donnée.

Le baiser moderne

Le premier baiser s’échange aujourd’hui souvent d’abord sur une appli dédiée. La seconde bise se fera lors d’une rencontre en présentiel après un échange virtuel. C’est dans la seconde moitié du 20ème siècle seulement que se développent baisers et caresses avant un rapport sexuel. Avant 1900, les femmes faisaient l’amour sans avoir jamais embrassé leur partenaire. Lors de la cérémonie de mariage, c’est le dernier acte qui marque l’alliance sociale et publique quand le maire dit « Vous pouvez embrasser la mariée ». Dans les enquêtes sur la sexualité, on voit que le baiser est oublié, mais un premier baiser raté peut faire capoter une relation naissante. Et pourtant au cinéma, c’était le seul émoi érotique autorisé entre 1920 et 1960. Le code Hays interdisait aux réalisateurs américains de filmer des scènes de nu à l’exception du baiser, lèvres fermées.

Maintenant c’est la parole qui prime avant le baiser, quand on dit non, c’est non prône #MeToo. Des amoureux de Peynet au baiser de Michèle Morgan et Jean Gabin dans « Quai des brumes », le baiser serait-il devenu archaïque ou est-il un vestige de notre romantisme d’hier ? J’ai envie de suivre Alfred de Musset pour amorcer une réponse : « Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu ».

Vicky Sommet

« Ce qu’embrasser veut dire » de Jean-Claude Kaufmann aux éditions Payot (octobre 2021).

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