Le rouge résiste

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Symbole d’émancipation ou geste traditionnel, mettre du rouge à lèvres n’est pas anodin. Avant la COVID19, il se vendait 10 bâtons par seconde. Outil de séduction dont les hommes sont encore privés, le rouge sert-il aujourd’hui à embellir, à faire grandir ou à personnaliser les femmes ?

Objet d’ivresse

Le rouge rime avec puissance, force et courage. Témoins la couleur qui prédomine dans les films d’Almodovar, Chanel qui le qualifie de « lieu commun de tous les contraires » et Carmen le porte des pieds à la tête. Le rouge à lèvres a ceci de particulier, il réécrit la grammaire d’un visage et l’objet lui-même, conditionné dès les années 1870 en forme de phallus ou de cartouche, devient une arme de l’arsenal féminin. D’abord commercialisé sous forme de palettes contenant du « raisin », une pommade colorée à appliquer avec le doigt, ce sera la maison Guerlain qui inaugure le premier bâton baptisé « Ne m’oubliez pas ». Casanova parle même du rouge avec délectation : « On ne veut pas que le rouge paraisse naturel… On le met pour faire plaisir aux yeux qui voient les marques d’une ivresse qui leur promet des égarements et des fureurs enchanteresses. »

Objet de discours

Symbole de femme déviante, le rouge subversif finit par se cacher de moins en moins. Sarah Bernhardt le fit passer de la rue à la scène, l’invention française sera reprise par les Américains avec un Maurice Levy qui mit au point un étui métallique à système coulissant, le « Levy tube ». Autre réaction, celle d’Elizabeth Arden qui, voyant passer une marche de femmes réclamant l’accès aux urnes, leur distribue son rouge « Red door » et devient une suffragette convaincue. Après la guerre où les femmes avaient adopté une certaine indépendance, la publicité leur fait la part belle avec des affiches en couleur et du rouge aux lèvres. Un chimiste crée un slogan « Le rouge à lèvres qui résiste à tout, même aux baisers », ce sera le triomphe du Rouge baiser.

Objet emblématique

Dans les rangs de l’armée, le rouge est présent et Arden obtient l’exclusivité du maquillage pour les femmes dans l’armée américaine, à tel point que devant les Japonais de Pearl Harbour, il devient un emblème patriotique. Pour Andy Warhol, Marilyn devient un objet de désir avec « Les lèvres de Marilyn Monroe » où sa bouche rouge apparaît 168 fois. Plus tard, le leader du groupe The Cure rougit ses lèvres pour reproduire le maquillage des Égyptiens de l’Antiquité. Le monde économique s’en est aussi emparé avec un indice, le Lipstick Index, inventé par le fils d’Estée Lauder, qui constate qu’après les attentats du 11 septembre, le rouge a résisté.

À chacune d’assumer sa liberté d’en mettre ou pas et de suivre, en cas de baisse de moral, l’injonction de Gabrielle Chanel, « Si vous êtes triste, ajoutez plus de rouge à lèvres et attaquez ! »

Vicky Sommet

« Sur la bouche. Une histoire insolente du rouge à lèvres » de Rebecca Benhamou (éditions Premier Parallèle, novembre 2021).

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