Je m’aperçois à l’occasion de la sortie du livre de sa petite fille écrit à sa mémoire que je ne sais pas grand chose de celle que l’on appelait la « Dame de coeur ». J’ai 9 ans lorsque son émission si controversée est lancée sur RTL… Qui fut donc cette sacrée bonne femme qui lança son émission de libre antenne dans les années 1970, pionnière de la libération de la parole des femmes ?
Le métier de femme
Née Marie Laurentin en 1919 à Cholet dans le bocage vendéen au sein d’une famille extrêmement classique, bourgeoise et catholique, la petite fille refuse très vite de porter ce prénom qui lui pèse auquel elle préfère Menie (Marie en vendéen). Un père architecte, une mère au foyer, trois frères, une soeur, Menie se marie à 24 ans avec Roger Grégoire, brillant jeune homme, haut fonctionnaire qui devient conseiller d’État. Ensemble ils gravissent l’échelle de la haute société parisienne, un couple brillant auprès de qui le Tout Paris se presse. Menie, qui a interrompu ses études d’histoire pour élever leurs trois filles, reprend une activité professionnelle à la quarantaine lorsque la dernière est scolarisée.
Comment la décrire physiquement ? Les yeux et les cheveux très bruns, maquillée, des bijoux, haute comme trois pommes, toujours perchée sur des talons, portant des robes élégantes.
Menie commence par écrire des articles, notamment au magazine Elle. Invitée un jour à une émission de TV, elle ose parler de la contraception. Une avalanche de lettres lui sont adressées au journal ! Elle participe au numéro spécial de la revue Esprit intitulé La femme au travail qui la conduit à interroger des penseurs sur la condition féminine. En 1965, à la parution de son livre Le métier de femme chez Plon, elle devient conférencière pour l’Alliance française pour qui elle voyage un peu partout dans le monde afin d’y parler des femmes et de leurs droits.
Son combat ? Que les femmes travaillent sans renoncer à avoir des enfants et au bonheur du couple, soulager leur double peine, leur donner accès à la contraception, les écouter, les comprendre. Menie ne s’intéresse pas tant aux femmes de son milieu qui ont choisi la seule maternité comme destin qu’à celles qui, depuis la guerre, travaillent du matin au soir en élevant leurs enfants.
Confidences sur les ondes
En 1967, la station RTL décide de faire peau neuve, en créant notamment de l’interactivité avec ses auditeurs. Philippe Labro, alors directeur de la chaîne, demande à Menie de participer avec d’autres à une émission où il lui donne pour mission de s’adresser aux femmes. Un jour, elle y lit une lettre reçue d’une lectrice du magazine Elle sur un sujet de sexualité. La station croule après la diffusion sous les appels et les lettres ! Philippe Labro lui propose alors de monter sa propre émission qui sera baptisée « Allô, Menie ? ». Chaque jour, entre 15 h et 15 h 30, Menie lit une lettre reçue au courrier en demandant aux auditrices et aux auditeurs de l’appeler pour commenter. L’émission s’installe et très vite cartonne ! Menie parlera bientôt devant deux millions et demi d’auditeurs, dont 90 % de femmes (à partir de 1972, l’émission dura de 14 h à 15 h 30).
Bien des sujets tabous sont abordés : avortement, contraception, frigidité, inceste, problèmes de couple, sexualité, viol.
Sa carrière explose à 50 ans, un âge où une femme était alors largement considérée comme « périmée » ! Malgré le succès et les invitations qui pleuvent, elle monte autour d’elle toute une équipe afin de l’aider, Menie continue de prendre sa mission très au sérieux. Elle sélectionne elle-même avec soin chaque lettre qui sera lue à l’antenne. Elle doit hélas faire face tant au vedettariat qu’à l’hostilité, car plus d’un est choqué par le caractère impudique de l’émission, ce qui ne manque pas de valoir à ses filles et son mari des quolibets. Elle n’hésitera cependant pas, malgré injures et moqueries, à remuer ciel et terre pour donner la parole aux femmes et pousser à ce qu’on édicte des lois en leur faveur.
Menie se battra notamment pour que l’autorité parentale soit partagée entre l’homme et la femme et non plus la seule responsabilité du père.
Une seconde émission
En 1973, Philippe Labro lui confie une seconde émission entièrement dédiée à la sexualité. L’ignorance à l’époque est grande en la matière, tant du côté des femmes que des hommes. Cela ne va pas améliorer son image ! Certains trouvent les femmes indécentes dans leurs propos et ne comprennent pas pourquoi elle lève le voile sur les mystères de la féminité et du couple. On va même jusqu’à lui reprocher d’exploiter la misère ! Pourtant l’émission prend le pas sur celle d’origine et connaîtra un grand succès, tout comme le livre sur sa vie qu’elle publiera en 1976, « Telle que je suis ». Dans les années 1980, les chiffres commencent à stagner et l’émission finit par s’arrêter en 1981¹ après 15 ans d’antenne. Bel exemple de longévité à la radio ! Menie a 62 ans. Elle deviendra éditorialiste au mensuel Marie Claire puis France Soir, écrira des articles. Si elle prend sa retraite officiellement en 1988, elle continuera d’écrire de nombreux romans et récits historiques. Elle meurt en août 2014 à Tours à l’âge de 94 ans.
On peut dire que la vie de nombreuses femmes a été chamboulée par les émissions de Menie Grégoire qui, 50 ans avant la vague #MeToo, a porté le combat des femmes, libéré leur parole et ouvert le dialogue sur nombre de sujets sociétaux importants, voire même tabous, dont personne ne parlait publiquement à l’époque. Sacrée Menie !
Marie-Hélène Cossé
LIRE « L’heure des femmes » d’Adèle Bréau (janvier 2023, JC Lattès) – un joli récit qui entremêle réel et fiction aux côtés de beaux personnages de femmes, Mireille, Suzanne, Catherine ou Esther.
¹À la fin de l’émission, Menie Grégoire demande à récupérer les bandes des émissions qui normalement sont détruites et les lègue aux archives départementales d’Indre et Loire avec les 80.000 lettres, les fiches, les articles de presse, ses travaux universitaires et les fameux carnets noirs dans lesquels elle notait tout. Merci aux archives d’avoir eu la gentillesse de me procurer cette photo de Menie.
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